Itinéraire d’une mélancolie

Actualité du 21/02/2022

The souvenir est né dans les années 80 lorsque Joanna Hogg imagina mettre en film un épisode de sa vie sentimentale. Le projet matura plus de 30 ans car The souvenir Part 1, Part 2 fut réalisé entre 2019 et 2021.

Le premier segment chronique la liaison toxique entre Julie (Honor Swinton Byrne), étudiante en cinéma et Anthony (Tom Burke), dandy arrogant, vaguement diplomate, toxicomane avéré. La relation se restitue au fil d’une chronologie ballottée par des éclats de mémoire qui ressurgissent selon la plus empirique des logiques. The souvenir Part 1 se clôt par une séparation définitive et l’amorce d’une dépression.

Dans The souvenir Part 2, Julie modifie dans l’urgence son film de fin d’étude qui devient la catharsis de sa souffrance amoureuse. Ce changement de cap induit les doutes des enseignants, l’agacement de certains techniciens, le dépit d’une actrice éconduite. Timide mais résolue, Julie ne lâche rien, le film est dans la boîte.

Pourtant nous découvrons à l’écran des images qui ne correspondent en rien au tournage que nous avons suivi. Le réalisme concis façon Ken Loach ou Mike Leigh cède la place à une fable baroque, héritée des Chaussons rouges du tandem Michaël Powell-Emeric Pressburger (1948). Conséquences des crispations entre les jaillissements de l’imaginaire et les contingences du réel, certains films demeureront à jamais rêvés.

A l’origine du projet il y a le Souvenir, tableau de Fragonard (1732-1806) dans lequel une jeune femme grave sur un arbre de mystérieuses initiales. Qui se cache derrière cette empreinte ? Quels états d’âme justifient ces entailles ? Au regardeur de se déterminer. Dans le sillage du peintre, Johanna Hogg donne à deviner, le pourquoi des éblouissements d’Alice face à Anthony, la ferveur discrète qui unit la fille à sa mère (Tilda Swinton pour une fois sans fard et toujours sans reproche).

La réalisatrice gratte le vernis. Lucie, alias le visage de porcelaine de Honor Swinton Byrne (Une révélation!) dissimule une force de caractère nourrie de doutes et de convictions. Ce qu’elle traverse n’est en rien une success story réductrice et lénifiante mais un trajet de résilience, semé d’embûches, de compromis et d’accomplissements. Par delà l’évanescence des lumières et la maîtrise stylée des émotions, The souvenir Part 1&2 est un précipité de mélancolie qui respire une âpreté et une profondeur vertigineuse, excitante and so typically british.

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