Romancier, philosophe, dramaturge, dessinateur, scénariste de BD, essayiste, poète, compositeur, acteur, mime, clown, marionnettiste, tarotologiste, cinéaste.., Alejandro Jodorowsky empile les casquettes, à la démesure de son imaginaire à l'éclectisme bouillonnant.
La réédition au cinéma de six titres, réalisés entre 1968 et 1990, remet au premier plan l’œuvre cinématographique du sémillant nonagénaire.
Tout de noir vêtu, un cavalier et son jeune fils entièrement nu, arpentent le désert. En chemin, le gamin sera abandonné au profit de Mara, la compagne du colonel sanguinaire que son père aura, au préalable, diminué. Par la suite, le pistolero mystifie pour le compte quatre rois de la gâchette, avant d’être, à son tour, dégommé par la Femme en noir qui convoite les faveurs de Mara. Vingt ans plus tard, il ressuscite et entame un chemin de rédemption.
La Trilogie du Dollar (1964-1966) chère à Sergio Leone croise Freaks (1932) de l’énigmatique Tod Browning, Les Saintes Écritures se condensent en un office de roulette russe ; nul doute que El Topo (1970) pique dans le mysticisme défroqué de Simon du désert (Luis Bunuel 1965) et le graphisme grand-guignolesque du western européen.
Errance, vengeance, duel dans la grand'rue.., tournée dans le désert du Mexique, l'épopée suit et distord les codes d’un genre au prisme d’un imaginaire imbibé de théosophie.
Le recours aux références, le tropisme parodique, structurent un parcours initiatique, précipité d’ésotérisme solennel, d’érotisme cabalistique et d’incises farcesques. Les circonspections nébuleuses, le narcissisme-masochiste de l’auteur-acteur, échappent aux postures sentencieuses, par la vivacité du montage et une inventivité visuelle de tous les instants.
Conte fantasque et picaresque, El Topo connut une carrière de légende. Ne sachant trop comment sortir cet OFNI (Objet Filmé Non Indentifié), la direction du Elgin Theater, le programma en janvier 1971, l’espace de deux séances : le vendredi et samedi à minuit. Par l’effet du bouche à oreille, la bande restera au fronton du cinéma new-yorkais pendant près d’une année . La mode du midnight movie, du film culte était lancée.
Parmi les fans du film : John Lennon confie son enthousiasme à Allen Klein, directeur de Apple, la maison de disque des Beatles. Non seulement celui-ci rachète les droits de El Topo et lui assure une plus large diffusion ; mais il finance le prochain projet de Jodorowsky. Ainsi naquit La Montagne sacrée.
Si El Topo se clôt sur une tombe recouverte d’abeilles, The Holy Montain s’entame par la résurrection d’un homme au visage christique, maculé de miel.
Dans sa courte préface pour l’album 30 ans d’Étrange Festival (éditions Carlotta), AleJandro Jodorowsky confie son adulation pour le Magicien d’Oz (Victor Fleming 1939), parangon du conte initiatique.
Au même titre que son prédécesseur, La Montagne sacrée relève d’un apprentissage erratique. Flanqué de son ressusciteur, tel Quichotte et Panza, le voleur sillonne une vaste cité où il croise des chefs de planète inspirés des figures du Tarot. Sous la conduite de l’Alchimiste (Jodorowski himself, of course), se constitue une mission d’apôtres à la conquête d’un mont où siègent les Sages immortels.
Au delà de la cataracte de modèles et références, le film s'organise selon une suite de tableaux, où l’esprit contestataire de l’époque se pare d’une inépuisable inventivité. La rythmique du récit, sa virulence pamphlétaire, sa causticité sacrilège, instillent une contention intelligente, non dénuée d’autodérision, à un éblouissement pictural de tous les instants.
Zoom back Camera !, ordonne l’Alchimiste, une fois atteint le sommet. L’intimation résonne comme l’ultime pirouette de cette parabole picaresque, doublée d’une inégalable pièce-montée, dont la fantaisie et l’audace resplendissent, intactes, un demi-siècle après son clap de fin.
A la suite de ces deux chefs-d’œuvre, la filmographie de Alessandro Jodorowsky s’avère plus chaotique. Tusk (1980), conte à destination du jeune public et Santa Sangre (1980), bande horrifique produite par Claudio Argento (le frère de Dario), relèvent de la commande. Le projet avorté autour de Dune, la cathédrale littéraire de Frank Herbert (1920-1986), génèrera un passionnant documentaire : Jodorowsky’s Dune, diffusé en 2013.
Mais Phénix au multiples renaissances, Jodo retrouve le sommet de son inspiration cinématographique avec La Danza de la realitad (2013) et Poesia sin fin (2016), L’enfant nu répudié par El Topo, par ailleurs fils du cinéaste : Brontis Jodorowsky incarne son grand-père paternel dans ce diptyque somptueux et bouleversant, autour des souvenirs de jeunesse de cet artiste innombrable, plus que jamais très haut perché.
Rétrospective Alejandro Jodorowsky : Fando et lis, El Topo, La Montagne sacrée, Tusk, Santa Sangre, Le Voleur d'Arc en ciel : jusqu'au 10 décembre, cinéma Utopia Avignon.
Documentation : Cult Movies, Danny Peary, 1982, Vermilion and Company