Jouer au delà de la nuit

Actualité du 25/01/2025

 

Au baseball, the eephus désigne un lancer parabolique particulièrement lent. Le terme technique est également le titre du premier long-métrage de Carson Lund, par ailleurs chef opérateur de Noël à Millers Point, film de Tyler Taormina, sorti de par chez nous en décembre dernier. A l’évidence, les deux gaillard partagent une dilection pour la mélancolie et les récits polyphoniques.

A l'instar de Noël.., où quatre générations de Balsano partagent leur dernier réveillon dans la maison familiale ; Eephus, le dernier tour de piste met en jeu une poignée d’amateurs qui disputent leur ultime challenge sur un terrain appelé à accueillir un établissement scolaire.

Donc il est question de baseball. Et en ce samedi d’automne, dans ce coin perdu de la Nouvelle-Angleterre, c’est le match final. Eephus.. dresse les minutes de la rencontre. Les actions sont détaillées, les dialogues sous-titrés et, néanmoins l’on n’y comprend absolument rien.

Mais qu’importe, l’intérêt est ailleurs. Comme chaque semaine, chacun est à sa place, l’analyste-statisticien derrière son grillage, le spectateur-connaisseur sur son gradin, les jeunes juchés en haut de la tribune et les joueurs sur le field.

Ça joue, ça applaudit lors de certaines phases, sans doute assimilables à une reprise de volée au foot ou un drop-goal au rugby. Ça conteste, ça chambre par ci par là, ça chantonne Take Me Out to the Ball Game comme il se doit. Les uns cherchent un remplaçant lorsqu’un joueur quitte le terrain pour se rendre à une fête familiale, les autres enrôlent un fin lanceur qui passait dans le coin.

L’on désigne un arbitre lorsque le référé décide de rejoindre ses pénates. Tout comme la mère dont les enfants commencent à avoir froid. Car le jour décline et la partie n’est pas terminée. Elle se poursuivra, dans une nocturne bidouillée autour du stade. Particularité : l’on ne s’inquiète jamais du score. Car pour tous, ce qui compte c’est d’être ensemble. Une dernière fois, l’essentiel c’est d’être là.

Cet aréopage de sportifs arthritiques, compétiteurs bedonnants, de spectateurs avisés ou regardeurs perplexes, composent la peinture mordorée d’une americana pétrie de modestie, de fatalisme et de bonne humeur. Râpeuse et néanmoins courtoise, cette humanité réveille le souvenir de Judge Priest (John Ford 1934) ou, plus récemment du réjouissant Cookie’s Fortune (Robert Altman 1999) ; rien que du meilleur, aux antipodes des redneks ignares, ferment du fléau trumpiste.

A la fin, tout le monde s’en va. Alors, le spectateur quitte la salle. Il n’a rien compris mais il s'éloigne ému et se sent vraiment bien.

Photographies : Capricci films.

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