The Bikeriders (les Motards) s’ouvre sur un extrait de L’Équipée sauvage (Làzlo Benedek 1953) et se boucle sur une allusion à Easy Rider (Dennis Hopper 1969). Entre ces deux classiques du films de moto, le film restitue l’épopée des Vandals.
Blouson tanné, bécane rutilante ; fasciné par les poses de Marlon Brando, dans The Wild One, Johnny fonde un club de motards auquel adhère Benny, le chien fou. Égarée un soir dans l’antre des bikers, Kathy repère Benny. Coup de foudre!
Pour son huitième opus, Jeff Nichols puise dans The Bikeriders (1968), étude-compilation d’images et entretiens recueillis par le photographe Danny Lyon auprès des Outlaws de Chicago. Le film reprend le principe de l’interview, en l’occurrence celle de Kathy, dont la contribution charpente le récit.
Rixe de comptoir, poses ostentatoires du jeune premier (Austin Butler, à peine sorti de l'Elvis de Baz Luhrmann-2022) ; dans un premier temps, Nichols se plie aux règles du genre, largement exploité par les productions Roger Corman : Les Anges sauvages (1966), The Trip (1967).. . Mais le témoignage-commentaire de Kathy (Jodie Comer irrésistible de nonchalance déterminée), instille au vérisme une certaine distance.
Au bout du conte, les rebelles ne roulent jamais très loin et tournent souvent en rond. Le club devient un refuge et façonne une identité, voire une raison d’exister, à des êtres plus ou moins jeunes, peu tentés par l'aventure ou les conformités.
Jeff Nichols s’empare d’un matériau documentaire qu’il accommode à ses thématiques fictionnelles. Cavaliers du Midwest, les Bikeriders sillonnent l’Americana, dans laquelle s'ancre depuis toujours son cinéma. Leitmotivs majeurs de l’auteur de Take Shelter (2011), Mud (2012), Midnight Special (2016), les rapports de famille et filiation constituent le carburant dramatique, enrichi par des additifs soutirés aux dilemmes de la tragédie, déjà à la base de Shotgun Stories (2007), son coup d'essai tourné dans les plaines de l’Arkansas.
Après avoir personnifié (Mad) Max Rockatanski sur la Fury Road tracée par George Miller (2016), Tom Hardy confère une masse, insuffle une pesanteur à Johnny, parrain motorisé, retors quant’à ses prérogatives mais sans réelles ambitions, comme le suggère son étonnement à la découverte de la crainte et l’impunité qu'inspirent les Vandals.
Au diapason des courtes vues du leader de bande, désormais chef de gang, Nichols ne s’extrait jamais de cette communauté qui fonctionne en vase clos, dans une inertie autarcique et sans lendemain. A l'extérieur, les frères Kennedy, Martin Luther King ont péri assassinés, une partie de la jeunesse s'embourbe au Viet Nam et Richard Nixon franchit le seuil de la Maison Blanche.
A travers l'ascension et la déréliction des Vandals, Jeff Nichols détricote les stéréotypes d'un genre, dérivé du western. En pellicule 35 millimètres, il chronique un rêve qui s'étiole et restitue une innocence à jamais perdue. Vers la fin, Johnny sonne à la porte de Kathy. Il n’a rien à lui dire mais lui signifie que, comme le chante Bob Dylan, Times are a-changing. Rarement la mélancolie ne s’est parée d’une telle élégance, d'une telle simplicité.
The Bikeriders marque le retour, après huit ans d’absence, d'un cinéaste, héritier direct des grands filmeurs classiques : John Ford, William A.Welman, Howard Hawks (ce dernier très friand de gros cubes et carburateurs). Huit années de projets, huit années sans filmer: apparemment l’ataraxie des Vandals s’est largement inoculée à travers les arcanes hollywoodiennes.
Photographies : Universal Pictures.