Les femmes en cuisine et les hommes à table. Dès l’aube, Dodin (Benoît Magimel) établit le menu du jour. Aussitôt, Eugénie (Juliette Binoche) glane dans le potager les ingrédients nécessaires. Flanquée d’une assistante (Galatea Bellugi) et une apprentie (Bonnie Chagneau-Ravoire), la cuisinière entame la préparation du repas.
L’élaboration se restitue en une imbrication de plans-séquences, suites de chorégraphies gestuelles, cadencées par le crépitement des fritures ou le ronron des cuissons. A terme, le repas sera servi à Dodin et ses amis, quatuor de notables, dont le quotidien semble se limiter au bien vivre et bien manger.
Pour son septième long-métrage, Trân Anh Hùng transporte dans la campagne angevine La Vie et la Passion de Dodin Bouffant, roman publié, dans sa version définitive, en 1924 par Marcel Rouff (1877-1936). L’adaptation relève de la restitution picturale, entre scènes de genres et chromos sur papier glacé. L’approche chatoyante se complète d’un glossaire-documentaire sur l’art d’assouvir une acidité, d’isoler une saveur ou de profiter des spécificités de certains produits (les vertus isolantes du blanc d’œuf).
En phase avec une tendance hégémonique, qui met de la cuisine partout et donne à penser que certaines toques étoilées passent plus de temps dans les médias que devant leurs fourneaux, cette célébration épicurienne se suit dans une perplexité gourmande. Le régal des convives, l’admiration face à des plats méticuleusement composés, se doublent d’une chronique subtile des ramifications multiples de la conjugalité.
Au crépuscule, Dodin repu, partage ses impressions avec Eugénie, le visage creusé par la fatigue. Les échanges entre le gastronome et la cantinière qui, précise-t-elle, déteste la fréquentation des salles à manger, prend l’allure d’une conversation amoureuse où les sentiments se subliment dans le souvenir d’une texture, l’évocation d’un fumet, la délectation d’une mastication. Le sensoriel se fond dans le sensuel, la préparation d’une omelette devient acte d’amour; celle d’un pot-au-feu, chemin de résilience.
Au sein d’une distribution aux petits oignons, Benoît Magimel scrupuleux et attentionné, Juliette Binoche, solaire et affairée, éclairent ce conte balzacien, exaltation du goût, qui scrute les tâches âpres et exigeantes, fournies par des artistes, modestes comme des artisans.
Au terme de La Passion de Dodin Bouffant, Eugénie demande à Bodin s’il la considère comme une épouse ou une cuisinière. La réponse immédiate la remplit de joie. Il est de même pour le spectateur, emporté par cette histoire d’amitié et d’amour, nappée de délicatesse, recouverte de connivences.