L’art du Fantastique

Actualité du 08/10/2023

François (Romain Duris) et Émile (Paul Kircher) s’impatientent dans un embouteillage. Le père et le fils s’évadent vers la campagne, non pour des vacances mais afin de se rapprocher de Lana, la mère hospitalisée.

Soudain, une ambulance voisine est violemment ballottée. De la porte arrière s’échappe une forme improbable qui s’évanouit dans la panique. En ce temps-là, le monde est sous l’emprise d’une affection mystérieuse, qui transforme les humains en animaux. Infectée, Lana est acheminée vers un établissement dernier cri, susceptible de ralentir les métamorphoses.

Au terme de leur périple, François trouve un emploi dans une guinguette en bordure de forêt. Émile reprend sa scolarité au collège voisin. Mais, suite à un accident, Lana, est portée disparue.

La catastrophe, la survie, la nature, nourrissent déjà Les Combattants, premier film, réalisé en 2014 par Thomas Cailley. Les mêmes thèmes sous-tendent Le Règne animal. Neuf ans après son coup d’essai, le réalisateur déploie à nouveau sa culture de l’équilibre, entre décalage fantaisiste et abymes de gravité. Mais l'art du dosage s’affine ici, dans la façon d’aborder le Cinéma Fantastique, auquel se rattache ce conte prémonitoire.

Le Règne animal paie son tribu à l’effroi et l’épouvante, auxquels est souvent cantonné un genre hybride par excellence. Mais là encore, Thomas Cailley dose les effets. Dans la première partie, la peur émane des bois où se terrent les Bestioles. Dans la seconde, la frayeur devient concomitante aux expéditions villageoises, assimilées à des ratonnades rurales.

Situé dans un futur proche, consécutif à un dérèglement biologique, le projet relève de la science-fiction. La peur de l’inconnu (un virus), de l’étranger (un mutant) sous-tendent une fable d’anticipation, dans laquelle alternent cauchemar et émerveillement. Car le film se revendique également du Merveilleux, autre veine du Fantastique, creuset des incursions cinématographiques de Jean Cocteau : La Belle et la Bête (1946).., ou du monde animé de Hayaho Miyazaki : Le Voyage de Chihiro (2001).. .

Les travaux d’approche puis l’amitié naissante entre Émile et L’Homme-oiseau (Tom Mercier, bien plus à son affaire par rapport à La Bête dans la jungle, sorti récemment) frayent, eux aussi, entre inquiétude et cocasserie, désolation et ravissement.

La poésie pointilliste de L'Enfant lézard, la majesté déchirée de La Femme louve, alliés à la justesse des interprètes, propulsés dans un grand huit émotionnel, corroborent cette parabole à la subtilité incisive sous fond de pandémie et de luttes de territoire.

Au même titre que Grave et Titane (Julia Ducournau 2016-2021), La Nuée et Acide (Just Philippot 2020-2023), Les Cinq Diables (Léa Mysius 2022), Goutte d’Or (Clément Cogitore 2022, Vincent doit mourir (Stephan Castang 2023).., Le Règne animal traduit l’émergence, au sein du cinéma français, d’une génération de cinéastes, capables de fondre visions et influences, dans un précipité qui dépasse les artifices spectaculaires et la simple reproduction.

A ce titre, Le Règne animal se suit comme une fête de l’imaginaire, insolite, poignante et d’une délectable modernité.

Photographies : Nord-Ouest film, Studio Canal, France 2 Cinéma, Artémis Productions.

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