L'emprise du vampire

Actualité du 04/01/2025

 

Robert Eggers le martèle depuis toujours : s’il est entré en cinéma c’est pour réaliser, un jour, son Nosferatu.

L’histoire est documentée : en 1922, Friedrich Wilhelm Murnau (1888-1931) adapte au cinéma Dracula, roman publié en 1897 par l’écrivain irlandais Bram Stoker (1847-1912), sans en détenir les droits.

Le scénario suit les péripéties du livre mais, afin de camoufler l’entourloupe, le réalisateur modifie les patronymes. En conséquence, Jonathan et Mina Harker forment le couple Thomas et Ellen Hutter. Van Helsing l’érudit vampirologue devient le professeur Bulwer. Enfin, plus de trace de Dracula dans un film, baptisé Nosferatu, qui recense la migration mortifère du comte Orlok.

L'approche, cependant, prend quelques distances avec son modèle littéraire. Le vampire de Stoker apparaît comme un vieillard, dont le corps se redresse et la chevelure rembrunit au fil de ses victimes. Silhouette rachitique, phalanges effilées, visage de gargouille, Orlok conserve son allure rédhibitoire tout au long de sa sanguinaire odyssée. Murnau élude l’aristocratique séduction au profit d’une repoussante prédation. Robert Eggers lui emboîte le pas et transforme l’avenant Bill Skarsgård en succube lugubre et conquérant.

La seule innovation de la nouvelle mouture reste, dès l’ouverture, la mise en avant de Ellen (Lily-Rose Depp au taquet), l’épouse esseulée, dont l’agitation endémique dégénère, au fur et à mesure que se rapproche le monstre, en convulsions hystériques (supervisées par la chorégraphe Marie-Gabrielle Rotie). Climax de somatisation, ces instants paroxystiques assignent les contorsions de Linda Blair (et sa doublure), inoubliable Regan adjurée par L’Exorciste (William Friedkin 1973).

Exit les postures théâtrales de Bela Lugosi (Dracula Tod Bowning 1931), les lustres ambigus des Hammer Films (Le Cauchemar de Dracula Terence Fisher 1958), les tourments romantiques du Vlad Dracul, portraituré en 1992 par Francis Ford Coppola. Masculinité toxique, féminisme expressionniste, horreur corporelle.., Robert Eggers développe une vision personnelle qui (concours de circonstances) coche bien des cases de l’humeur de l’époque.

A l’écran, le réalisateur imprime sa signature tellurique. Son Nosferatu malaxe à nouveau tourbe, crachin, tempête et brouillard. Sur support 35mm argentique, Jarin Blaschke, son opérateur de toujours, fabrique du noir et blanc avec de la couleur.

Après The Witch (2015), réanimation prometteuse de la Folk Horror (traduire par épouvante campagnarde), puis The Lighthouse (2019) huis-clos fantasmatique au cœur d’une marée déchaînée, Robert Eggers confirme le dévoiement perceptible dans The Northman (2022). Dans le sillage de son épopée testostéronée et au diapason des contractions de son héroïne, Nosferatu confond ampleur et puissance et, en conséquence, écrase la majesté du romantisme par l'aplomb de la démonstration.

Dans ce maelstrom de spasmes, grognements et circonvolutions, l’on se souviendra que Willem Dafoe, ici Bulwer le chasseur de vampire, incarna l’acteur Max Schreck alias le Comte Orlok dans L’Ombre du Vampire, making-of imaginaire du Nosferatu originel, réalisé en 2000 par E. Elias Merhige.

Rappelons pour conclure, qu’à la sortie de sa Symphonie de l’horreur, Murnau fut poursuivi en justice par la veuve de Bram Stoker. A l'issue d’un procès ingagnable, son film fut condamné à la destruction. Ainsi Nosferatu doit sa survie à des contretypes de copies illégalement épargnées. Le destin du chef-d’œuvre confirme la phrase admirable et fondamentale d’Henri Langlois, cofondateur de la Cinémathèque Française, selon lequel : On ne vole pas un film, on le sauve.

Article écrit en appui sur le magazine "Mad Movies", décembre 2024.

Photographies : Focus Pictures.

 

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