L'opinion publique

Actualité du 26/12/2023

Tout commence par un incendie qui dévaste un immeuble voisin de l’appartement occupé par Minato (Kurokawa Soya) et sa mère (Ando Sakura). Le bâtiment sinistré héberge une maison de geishas. Il se dit qu’on aurait aperçu Nagayama (Hori Michitoshi), l’instituteur de Minato, sortir du building.

Après une échappée aussi erratique qu’évasive, en France où il tourna La Vérité (2019) puis en Corée pour Les Bonnes étoiles (2022), L’innocence marque le retour au Japon de Kore-Eda Hirokazu.

Je suis un peu plus âgé que lui, mais nous avons vécu les mêmes événements et respiré le même air sous un ciel sombre.. . Nous avons, dans nos récits, parlé de négligence, de délinquants et de familles recomposées.

Le cinéaste commente ainsi sa première association avec Sakamoto Yuji. Pour l’occasion, le scénariste élabore une structure polyphonique, dans le sillage de Rashomon (Akira Kurosawa 1950) qui confrontait quatre témoignages autour d’un même crime.

Tour à tour, la dramaturgie s’attache à la mère, jeune veuve désemparée par les sorties de route de son fils puis à l’enseignant qui, après avoir giflé l’enfant, se retrouve au centre de procédures qui le dépassent. Après un détour vers Madame Fushimi (Tanaka Yuko), directrice d’école aux décisions déconcertantes, l’intérêt se porte enfin sur le jeune Minato.

Judicieusement couronné pour son scénario, lors du dernier Festival de Cannes, Kaibutsu (Monstre) arrive sur les écrans rebaptisé L’Innocence. Si elle demeure pertinente, la nouvelle appellation abrase l’âpreté sous entendue par le titre original.

Le film s’appréhende comme un retable dont les deux premiers panneaux inventorient les solitudes endémiques et les dommages de la rumeur, exacerbée par le poids des apparences et la surpuissance des réseaux. Dans l’ultime volet, le vérisme cède la place aux tonalités impressionnistes d’un conte. A l'abri des névroses et oukases des grands, deux gamins s’abandonnent enfin à la rêverie, au jeu et aux sentiments.

Alliée à une écriture serrée, la rugosité de Sakamoto affermit la délicatesse pointilliste, marque de fabrique d’un réalisateur, insatiable chroniqueur des nouvelles géométries familiales. Le triptyque se clôt sur un orage dévastateur, qui évacue les scories, éclaircit les esprits et recentre les points de vue.

Nimbé des ultimes harmonies de Sakamoto Riuchi, décédé en mars dernier, L’innocence impressionne par sa méticuleuse sévérité autant qu’il éblouit pas sa virtuosité narrative et bouleverse par sa sensibilité digne et ajustée.

Photographies : Le Pacte distribution.

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