A la Baguette entre les cloisons

Actualité du 03/02/2023

Major de promotion à l’Université de Harvard, Master de piano, compositrice, musicologue-spécialiste ès musiques primitives, plébiscitée pour diriger les orchestres les plus prestigieux, Lydia Tàr occupe, depuis sept ans, la tête du Philharmonique de Berlin, l’une des formations les plus prestigieuses du répertoire savant.

Au fil de ses journées, Lydia prépare, écrit, enseigne, préside les réunions, conduit les répétitions, négocie les enregistrements, honore divers engagements… . Son emploi du temps se résume en un carrousel de couloirs, de bureaux, de studios, d’auditoriums. La vie extérieure, elle l’entrevoit derrière les vitres de sa berline ou lors de footings intenses et minutés.

Lydia mène, dirige, gouverne. Elle conseille, inspire, influence, tranche, au faîte de sa connaissance, du haut de son excellence, au nom de sa légitimité. La cheffe entraîne dans son sillage Francesca (Noémie Verlant), jeune assistante qui attend son heure. Le soir, elle retrouve Sharon (Nina Hoss), son premier violon, par ailleurs son épouse, avec qui elle élève Petra, leur fille adoptive d’origine syrienne.

Du matin au soir, Lydia surplombe, dans une ferme autorité lors des comités d’orientation, parfois avec condescendance lorsqu’un confrère lui mendie le secret d’une interprétation. Elle affiche une morgue cinglante, lorsqu’un élève affirme sa lecture woke de l’œuvre de Jean-Sébastien Bach.

 

Avec Tàr, Todd Field confirme son inclination pour les caractères féminins forts et complexes, au centre de In the Bedroom (2001) et Little Children (2006). Son nouvel opus s’apparente à une immersion dans le monde et l’univers mental d’une artiste, dont le travail et l’ambition s’érigent en un labyrinthe de fortifications. Car derrière la maestria se cache une intranquillité endémique : lorsqu’une sonorité parasite le silence de la nuit, quand un vide lézarde son mur-bibliothèque.

Dispositif oblige, le film s’apparente à un véhicule propulsé par son interprète principale. Au centre de chaque séquence, Cate Blanchett insuffle son charisme et son énergie à une femme dont la musique est la vie, dont l’existence, jamais, ne déborde la musique. Comédien-réalisateur, Todd Field lui adjoint Nina Hoss et Noémie Verlant, deux Stradivarius capables d’exprimer une perplexité ou un dépit, l’espace d’un regard fugitif, d'une brève intonation.

Étude clinique, méditation sur la transmission d’un art fondateur d’une civilisation, Tàr se double d’une analyse sur l’exercice du pouvoir. Le thème est admirablement symbolisé par l’orchestre, communauté régie par des habitudes et des règlements, utilisés ou contournés par une cheffe, elle même partagée entre calculs personnels et quête de transcendance.

Todd Field observe les paradoxes d’une maestra, à la fois accomplie et tourmentée, un être ordinairement compliqué, que l’on accompagne de bout en bout, en se gardant bien de la juger.

Un grand film.

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