Mieux vaut trois années en prison que 25 ans dans une banque.
Fort de cette certitude, Romàn (Daniel Elias) détourne 650 000 dollars lors d’un transfert vers le coffre situé au sous-sol de son agence. Le plan est simple : confier le magot à un tiers, se laisser appréhender, purger une peine réduite pour bonne conduite, enfin récupérer le pactole qui garantira à chacun un avenir paisible.
Le stratagème s’amorce comme prévu. A ceci près que Moràn, collègue de travail et second comparse (Esteban Migliardi), est mis dans la boucle après le larcin. Le bonhomme, à priori sans histoire, se retrouve dépositaire d’une fortune contre son gré. Planqué au fond d’une penderie, le sac gorgé de billets plonge le receleur dans un inconfort endémique qui insupporte son quotidien.
Los Delincuentes refond L’Affaire de Buenos Aires, film réalisé en 1949 par Hugo Fregonese, en un diptyque qui associe polar urbain et flânerie pastorale. Mélange des genres, tropisme feuilletonnesque, références cinéphiles, épanchés dans des durées hors-normes, Los Delincuentes s’inscrit dans la galaxie des productions El Pampero Cine. Fondé en 2002, ce collectif d'artistes en rupture avec les circuits de financements traditionnels, jouit d’une flatteuse renommée, depuis la distribution française de La Flor (Mariano Llinàs 2018) et Trenque Lauquen (Laura Citarella-2022).
Cependant, Rodrigo Moreno se fixe quelques contraintes et se détache ainsi des travers : tunnels narratifs, digressions formalistes.., qui affectent ses modèles adossés à une liberté sans entrave.
S’il ménage pleins et déliés, Los Delincuentes se resserre sur 3H20, divisées en deux parties projetées sans entracte (pour exemple, La Flor s’étend sur 14 heures, réparties en quatre séances). Plus compacte, l’intrigue se ramifie selon une arborescence, certes foisonnante mais respectueuse d’une logique dans l’invraisemblance. Demeurent, néanmoins, l’appétence pour l’ironie fataliste, l’humeur romanesque, dénominateurs communs à cette nouvelle vague du cinéma argentin.Dans les entrelacs de péripéties criminelles et romances contemplatives, encourues par ces nouveaux Pieds Nickelés, l’on songe aux contes gigognes concoctés par le franco-chilien Raoul Ruiz (1941-2011), dépourvus hélas, de l’intelligence maniériste de ses mises en scène.
Enfin et même si le film fut conçu avant les dernières élections présidentielles, il est impossible de ne pas établir un lien entre cette fable financière et la loi Omnibus, portée par Javier Milei, nouveau leader maximo libertarien, désireux de couper les vivres à l’INCAA, (centre national de la cinématographie argentine) et de privatiser l’enseignement du cinéma.
Ce n’est pas parce qu’il y a un dingue au pouvoir que je vais m’arrêter. Si Jafar Panahi, en Iran…, peut filmer dans un appartement ou un taxi. Alors moi je pourrai.
Ainsi s’exprime Rodrigo Moreno. Sa détermination est aussi salutaire que son film délectable.
Citations extraites du journal Le Monde du 27 mars 2024.
Photographies : Arizona Distribution.