La bienheureuse et la grincheuse

Actualité du 04/04/2025

 

La question peut se poser : cinéaste adoubé par les festivals internationaux, dramaturge établi sur les scènes anglo-saxonnes, Mike Leigh aurait-il piqué à Thomas Bernhard ? Toujours est-il que, par la manière d’extirper son énergie vitale du ressassement et la détestation, Pansy (Marianne Jean-Baptiste), l’aînée des Deux sœurs, s'insinue comme légitime héritière de Reger, le critique atrabilaire, figure axiale de Maîtres anciens, roman phare de l’écrivain autrichien (1931-1989).

Après un diptyque historique : Mr Turner (2014)Peterloo (2018) ; le réalisateur britannique renoue avec sa griffe contemporaine et ses inimitables concoctions de vérisme et d’excentricité. Ce retour aux fondamentaux résulte du désir partagé par Mike Leigh et Marianne Jean-Baptiste, actrice londonienne d’origine antillaise, de collaborer à nouveau, 28 ans après Secrets et mensonges, auréolé d'une Palme d’or cannoise.

Rebaptisé Deux sœurs, Hard Truths (Âpres vérités) prend place de nos jours, à Londres, dans un milieu afro-caribéen. Si Chantelle (Michele Austin) conduit son salon de coiffure et accompagne ses deux filles, sans se départir d’un sourire pétri de compréhension ; recluse dans son pavillon Ikea, sa frangine Pansy accable Curtley son époux (David Webber) et Moses, son fils aboulique en surpoids (Tuwaine Barrett) de ses incessantes imprécations.

En considération des films antérieurs, ce concentré d’acrimonie constitue l'antonyme de Wendy, la ménagère de Life is sweet (1990) ou Poppy, l’institutrice tutélaire de Be Happy (2008), dont le rire nerveux ou la bonne humeur endémique relèvent du déni clinique ou de la méthode Coué.

Comme souvent chez le maître octogénaire, le film s’amorce sous le signe d’une comédie, ponctuée par les diatribes aussi féroces qu’imagées, que la douairière débite chez son médecin, sa dentiste, dans une supérette ou un marchand de meubles. L’humeur évolue lorsque, à proximité de la Fête des Mères, Chantelle suggère à Pansy une visite sur la tombe maternelle, suivie d’un repas familial. 

Fidèle à lui même, Mike Leigh oblique de l’observateur amusé par la logorrhée intempestive de son héroïne, vers le scrutateur pointilleux du désarroi accablé de son entourage. Dans un même mouvement (et comme dans les écrits de Thomas Bernhardt), les saillies vindicatives s’empilent en une déchirante litanie.

Propulsé par une distribution investie dans la composition des personnages et l’évolution des situations, Deux sœurs révèle une comédie humaine, perlée d'afféteries cocasses et de peines endémiques qui, pour une fois, ne se dissolvent pas dans une tasse de thé (même si certaines douleurs se cautérisent par la grâce d’un bonbon Haribo).

A la fin, Mike Leigh confie l’épilogue à la discrétion du spectateur. Décidément le doyen malicieux est en belle forme et ses sisters mitonnent un satané Mother’s day.

Photographies : Diaphana Distribution.

 

Retour à la liste des articles