Dédale incertain de venelles opaques chez Mario Martone (Nostalgia 2022), corniche balnéaire arpentée par de sculpturales Vénus ou des footeux carnavalesques, selon Paolo Sorrentino (Parthenope 2024). Plus avant, cité en reconstruction, rongée par la corruption immobilière, telle que la fixa Francesco Rosi, en 1963 dans Main basse sur la ville ; Naples reste une intarissable source d’inspiration pour le cinéma.
Documentariste de référence, Gianfranco Rosi (aucun lien de parenté avec Francesco), s’aventure à son tour dans la capitale de la Campanie. C’est au bord d’un train, La Circumvesuviana, que l’on entre dans Pompei, sotto le nuvole.
Tons monochromes, grisaille automnale, aux tunnels de la voie ferrée répondent l’exiguïté insalubre des galeries creusées par les pilleurs de tombes et les voleurs d’antiquités. Pendant que Nunzio, le procureur, inventorie les préjudices, Maria, la conservatrices, poursuit à la lueur de sa lampe de poche, son inventaire des trésors amassés dans les réserves souterraines de son Musée. A la surface, des archéologues tokyoïtes exhument La Villa d’Auguste, le premier empereur de Rome, découverte, il y a peu, au pied du Vésuve.
Le Volcan qui, à l’automne 79 ensevelit Pompei sous ses sédiments, entremêle toujours ses fumerolles avec la bruine qui trempe les dalles de la ville exhumée. Chez Rosi, les coulées de lave se confondent avec les traînées de blé, sous l’action du tractopelle qui vide les soutes d’un navire céréalier.
A bord, Aboud le marin, s’est embarqué pour fuir la barbarie qui déchirait sa Syrie natale. La guerre le rattrapa, sur les rives d’Ukraine, lorsque son cargo engouffra les céréales dans le Port d’Odessa. Plus tard, dans un vaste cinéma désaffecté, Ingrid Bergman et Georges Sanders découvrent les amants vitrifiés dans le magma, séquence poignante de Voyage en Italie (Roberto Rossellini 1953).
Dépourvu de commentaires, moucheté de quelques témoignages, enveloppé des atmosphères, composées par Daniel Blumberg (oscarisé en mars 2025 pour sa partition de The Brutalist), Gianfranco Rosi tisse un labyrinthe insolite et grandiose, à travers les images et rencontres, compilées durant ses trois années de résidence au pied du Volcan.
Associations d’idées, de vues, de temporalités ; époques et espaces s'entrecroisent. La fureur de la nature s’hybride à la sauvagerie et parfois aux génies ou à la simple bonté de l’humanité.
Le vénérable Titi, bouquiniste bonhomme, délivre des cours du soir dans sa boutique hors du temps. De leur plate-forme, Maria, Giorgio et Giuseppe, pompiers téléphoniques, prennent les informations, tempèrent les inquiétudes ou simplement donnent l’heure à cet anonyme qui les contacte tous les soirs .. à la même heure.
Au terme du déchargement, un marin époussette de sa brosse les grains qui obstruent les alvéoles dans le ventre vide du bateau. Sur terre, du bout de son pinceau, un archéologue déterre un squelette animal, vitrifié depuis des millénaires. Ici pas de drogue, ni de Camorra, juste les fragments d'une mythologie prodigieuse, accordés à la modestie sublime du presque rien.
Le Vésuve produit tous les nuages du Monde.
Pompei, sotto le Nuvole illustre la citation de Jean Cocteau, au fil d’une fresque-puzzle, ample, profonde et recueillie.
Photographies : Météore Films