La femme le vieil homme et la vague scélérate

Actualité du 04/10/2025

 

Vieil homme assis dans un fauteuil, Un homme âgé comme saint Paul.., Hendrikje Stoffels, sa seconde épouse. Ces trois portraits étaient présentés les uns à côté des autres à la salle 22 de la National Gallery. Et le déclic, le flash, s’est produit quand j’ai vu qu’il y avait la même chose dans les trois regards.

Comme il l'avoue : Pierre Schoeller ressentit en amont la même sensation que Claire (Camille Cottin), caractère axial de Rembrandt, son nouveau film.

Elle et Yves, son époux (Romain Duris), sont ingénieurs en nucléaire. En parallèle aux réunions de chantier d’un EPR, en construction outre-Manche, le couple passe un moment avec leur fille (Céleste Brunqquel) qui poursuit ses études à Londres, puis effectue une visite à la National Gallery.

C’est à ce moment que survient l’épiphanie.

L’illumination effrite les certitudes. Claire se découvre assaillie par des probabilités d’accidents. Ainsi découvre-t-elle l’existence des vagues scélérates, murs d’eau gigantesques et rarissimes, pouvant atteindre les 30 mètres et abattre 100 tonnes au mètre carré. Peu à peu se dessine une évidence : le risque zéro n’existe pas.

Les conversations aussi techniques que passionnées avec son époux et ses collègues, n’entament en rien le doute qui, peu à peu, ronge ses connaissances et ses convictions.

Tout se met en place pour l’épopée haletante et périlleuse d’une lanceuse d’alerte, dans le sillage de La Fille de Brest (Emmanuelle Bercot 2016), Les Algues vertes (Pierre Jolivet 2023) ou La Syndicaliste (Jean-Paul Salomé 2023).. . Pourtant Pierre Schoeller se détourne des péripéties attendues, au profit d’une immersion dans les pensées d’une scientifique qui, selon ses termes, se cogne au réel.

Les désordres intérieurs de Claire ne sont pas sans accointance avec les conflits intimes qui habitent le ministre des transports qui, dans L'Exercice de l’État réalisé en 2011 par le même auteur, se doit d’appliquer une politique qu’il réprouve.

Si L’Exercice.. adopte les codes du thriller, Rembrandt entrelace l’exactitude documentaire avec les mystères du conte fantastique. Feutré, énigmatique, l’après-midi dans la National Gallery trouve un épilogue par une nuit d’hiver, au bord d’un fleuve, surplombé, tel un beffroi maléfique, par une tour de refroidissement, totem indissociable des centrales nucléaires.

À la thèse didactique, se substituent les arabesques de la fiction, qui frayent dans les méandres du mental et annexent les éblouissements de la beauté. À peine perceptible sur un tableau, une tâche devient la minuscule zone d’ombre qui ravive le regard de Claire.

Les pensées se bousculent, mais une conscience s’éveille. L’éclosion s’effectue au fil d’un récit où les considérations savantes (spécificités techniques, questions philosophiques) croisent les affects intérieurs. Camille Cottin et Romain Duris sont au diapason, tout au long de cet avènement qui, au service d’un thème crucial, consacre la prépondérance du narratif et les potentiels de la mise en scène.

Photographies : Zinc Distribution

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