La forteresse les gardes et les prisonniers

Actualité du 24/11/2022

 

Sur les hauteurs de Sardaigne, la centrale de Mortana vit ses dernières heures. En raison de dysfonctionnements administratifs, le transfert des derniers détenus se trouve retardé. Attendue à son nouveau poste, le directrice ne peut différer son départ. Elle propulse Gargiulo, gardien vétéran (Toni Servillo) au rang de commandant provisoire. Pour faciliter la surveillance, celui-ci rassemble les prisonniers dans les cellules qui encerclent la rotonde centrale du bâtiment. La situation se complique lorsque s’interrompt la livraison des paniers repas. Condamné à une longue peine, Lagiola (Silvio Orlando) se propose pour réactiver les cuisines de la maison d’arrêt.

Comme on l’imagine, la situation de départ d’Ariaferma constitue un terreau de suspense et de brutalité, combustibles majeurs des films de prison. Si la tension s’installe et reste palpable jusqu’à la toute dernière séquence, la violence se cantonne à des affections individuelles, concomitantes aux remords ou à l’isolement.

Venu du documentaire, Leonardo Di Costanzo édifie une fiction en équilibre entre l’observation vériste et la parabole picturale. Bâtisse imaginaire, Mortana devient une citadelle labyrinthique, enchevêtrement d’espaces vétustes, de couloirs opaques où circulent des ombres calfeutrées dans leur déterminisme de gardes ou de prisonniers. 

Chez Gargiulo il y a du Drogo, jeune commandant, héros du Désert des tartares, roman de Dino Buzzati (1940). L’un et l’autre s’incrustent dans une forteresse, rempart ultime face à l’aberration du monde. On pense encore au Procès (1925) dans lequel Franz Kafka dessine une topographie de l’exiguïté et de l’enfermement.

Mais Ariaferma s’écarte à nouveau du prévisible. La parabole sur la sempiternelle absurdité de la condition humaine cède la place à une métaphore qui trouve son achèvement lors d’un repas partagé au centre de la coupole. En cet instant, véritable Cène laïque, s’esquisse une agora fragile, ferment d’une utopie en devenir.

Le grand et le petit, le clown blanc et l’auguste, aux côtés du longiligne Toni Servillo, acteur fétiche de Paolo Sorrentino (Il Divo 2008, Silvio et les autres 2018), pour une fois sans couches de maquillage, si ce n’est son visage marmoréen ridé par le doute, Sivio Orlando, interprète favori de Nani Moretti jusqu’au Caïman 2006, campe un pensionnaire dangereux, pétri d’une insondable sollicitude.

Intelligents, sensibles, définitivement impénétrables, le geôlier et son prisonnier deviennent les figures tutélaires d’Ariaferma, suspense formaliste qui tord le cou aux poncifs dystopiques, aux stéréotypes de genre pour s'accomplir dans une séquence finale, élégiaque et mystérieuse, bonhomme et bouleversante. Une somptueuse sortie des sentiers battus.

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