La jeune femme au piano

Actualité du 01/09/2025

 

C’est en ré majeur.

La réponse laconique au sujet d’un tube pop diffusé sur l’autoradio, éclaire le spectateur sur la jeune femme atone qu'il suit depuis l’ouverture du film. Laconique, sibylline, la phrase imprime par ailleurs le ton de Miroirs n°3.

Celui qui voulait vivre, celle qui ne voulait pas. Une sortie de route en rase campagne. Le conducteur trépasse, la passagère accuse quelques égratignures. Afin de se remettre du traumatisme, Laura (Paula Beer) accepte l’hospitalité de Betty (Barbara Auer) qui habite une petite maison, non loin de l’accident. La nouvelle venue suscite la stupéfaction de Richard (Matthias Brandt) et Max, son fils (Enno Trebs) qui gèrent un garage à proximité.

Miroirs n°3 chronique cette convalescence façon sujet-verbe-complément. Pourtant le mystère et le trouble s’infiltrent dans le plus radieux des paysages, le plus ordinaire des quotidiens.

Une dizaine de films en 25 ans, attaché au fatum de son Allemagne natale, Christian Petzold aime les histoires et chérit les muses. Aux côtés de la comédienne Nina Hoss, (5 films entre 2000 et 2014), le cinéaste creusa le film noir, teinté de suspense (Yella  2007, Barbara 2012,) et de mélodrame (Phoenix 2014). Entamé depuis 2018, le compagnonnage avec Paula Beer alimente une inspiration plus versée vers le conte, teinté de merveilleux (Ondine 2020) ou de marivaudage (Le Ciel rouge 2023).

Une barque guidée par un émule de Charon, le passeur des enfers, une petite maison au seuil d’une forêt.., Miroirs n°3 adopte les codes de la parabole, du fabliau. Laura, prénom de la miraculée, renvoie au film homonyme, réalisé en 1944 par Otto Preminger. Dans ce polar teinté de rêves et de fantasmes, un enquêteur s’éprend du portrait de la victime (qui n'est autre que Gene Tierney).

Après L’Ombre de l’enfant (2003), Fantômes (2005), puis Phoenix, Petzold renoue avec les spectres qui hantent sa filmographie. Mais cette fois, le narrateur éprouvé manigance un suspense cousu de fil blanc mais constellé de signes révélateurs. Une barrière qui se repeint, un piano qui s’accorde, des automobiles qui se dépannent ou s’optimisent, des chagrins qui se colmatent.., la convalescence se jalonne de réparations.

Frappé du sceau de l’épure et la nature, Miroirs n°3, relève d’une fable bucolique, dont la complexité affleure et se décrypte bien après la projection. Voilà un film qui se rumine consciencieusement, en écoutant une chanson de Frankie Valli ou Une barque sur l’océan, troisième Miroirs pour piano, composé en 1905 par Maurice Ravel.

Photographies : Films du Losange.

Retour à la liste des articles