L'arrogance le silence

Actualité du 13/10/2023

Pour qu’un film soit réussi, il faut un méchant convaincant. Ce précepte hitchcockien s’illustre dans Le Consentement. Même si le projet ne fraye en rien avec le thriller et la bande à suspense, force est de reconnaître que, de l’ouverture à son ultime apparition, Jean-Paul Rouve campe un Nosferatu de sortie d’école, dont les postures et aphorismes relèvent de la plus poisseuse des componctions.

L’acteur incarne Gabriel Matzneff, écrivain, dont la pédophilie revendiquée, constitue le carburant essentiel d’une production, qui lui valut, en 2009, le Prix de l’Académie française et, quatre ans plus tard, le Prix Renaudot-Essai.

Dans les années 80, Vanessa Springora, 14 ans, tomba sous l’emprise de Matzneff. En 2020, elle publie Le Consentement, livre témoignage dans lequel elle prend le chasseur à son propre piège. Trois ans plus tard, Vanessa Filho adapte au cinéma ce succès de librairie (350 000 exemplaires).

Mettre des mots en images, à l'évidence la réalisatrice pratique le périlleux exercice, avec d’infinies précautions. Elle ne cache rien, à commencer par les scènes de sexe, notamment la première relation, dont la violence misérable, glace le sang et annonce les tourments de l'aliénation. De bout en bout, une retenue entomologique tient à distance les complaisances obscènes.

Kim Higelin (22 ans), campe cette adolescente, assoiffée de connaissance, éprise de littérature, dont la recherche du père se fourvoie avec les préceptes maternels. Dans la vie regarde toujours vers haut, jamais vers le bas., lui assène sa mère (Laetitia Casta). Bien que révulsée par l’idée, celle-ci accepte la relation avec ce vieux beau, par ailleurs coqueluche d’une certaine intelligentsia.

A cet égard, Le Consentement, dépasse la sphère confidentielle, lorsqu’il détaille les us et coutumes de l’aréopage d’affranchis, qui s’émoustille des frasques étalées par ce littérateur multi-carte, autoproclamé amant des enfants, édité pour une partie de sa production, par la prestigieuse Maison Gallimard. L’on regrettera, au passage, que l’intervention indignée de Denise Bombardier, qui en 1990, sur le plateau de Bernard Pivot, renvoie Matzneff à sa lâche suffisance, soit amputée de la réaction des invités, tous masculins (dont Philippe Sollers), qui rabrouent la sociologue (décédée en juillet dernier) dans un mépris sans appel.

Le Consentement déploie, par ailleurs, l’histoire d’amour malade, d’une adolescente éblouie, chavirée par un dandy sur le retour, fort avec les faibles, dont la suffisance pontifiante, à la première rébellion, à la moindre menace, se lézarde et s’éparpille dans une panique pitoyable. Parce qu’elle combine l’intime et l’ostensible, l’emprise se ramifie en une arborescence dédaléenne. L’amour rend aveugle. Et il faut parfois du temps pour vaincre la cécité.

Chronique d’une déprédation, doublée d’un réquisitoire contre les cénacles qui façonnent les bien-pensances, Le Consentement est un film pesant, scrupuleux et d’une indéniable honnêteté.

Photographies : Julie Trannoy, Moana Film/ Wendy Production.

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