Suite à la gardienne de prison (Borgo-Stéphane Demoustier, sorti au printemps dernier), à la photographe de presse (A son image-Thierry de Peretti, sur les écrans depuis septembre), place à la lycéenne, protagoniste centrale du Royaume. A son tour, le film de Julien Colonna passe au prisme d’un regard féminin, les paysages et les coutumes de L’Île de Beauté.
Lesia (Ghjuvanna Benedetti) dépèce la dépouille d’un sanglier. Perlé de sang, le visage reflète une endurance, entre dégoût et détermination. Accompli dans un contexte de fête familiale, l’acte s’assimile à un rite de passage. A son terme, l’adolescente reçoit des compliments aux allures d’adoubement. La scène d’ouverture burine un manifeste : il sera question de chasse, de barbarie, de fatalité.
Ainsi, les grandes vacances et le premier flirt de Lesia sont interrompus par sa tante, qui la rapatrie dare-dare chez Pierre-Paul, son père (Saveriu Santucci), terré dans une villa au cœur du maquis. On le capte dans l’instant : entouré de sa garde rapprochée, le géant laconique est un chef de clan aux prises avec les autorités et d’obscures rivalités.
Pour son coup d’essai, Julien Colonna opte pour un polar, voie idéale (royale?) pour tanquer son pied à l’étrier. Mais, ici, le choix de dévider l’intrigue du point de vue d’une gamine de quinze ans, entremêle suspense et trajet d’apprentissage.
Dans l’attente d’une aparté, l'héritière observe à distance les échanges entre le paternel et ses hommes. Elle saisit, peu à peu, que son exfiltration relève plus de la protection que de la coercition. De son côté, le père, à qui rien n’échappe, lui intime, du bout d’un doigt, de regarder ailleurs. Plus surprenant, lorsqu’il détecte une désobéissance qui compromet sa sécurité, la fureur attendue prend l’allure d’un courroux magnanime.
Amorcé sous la pression du thriller, Le Royaume s’attarde sur une partie de pêche puis se dilue dans un récit d’errance. Le flou entretenu sur les activités du clan, à l’écart des mafieux et des indépendantistes, le magnétisme incandescent du couple central, formé par deux interprètes, à la base pompière volontaire et guide de randonnée, jusqu’au titre, derrière lequel se profilent Shakespeare, King Lear et sa fille Cordélia, ces ingrédients alimentent un vérisme tragique où le poids de la malédiction pèse sur la brutalité des exactions. La spirale vengeresse n’est plus une lutte pour un butin ou un territoire mais la manifestation d’un anathème atavique, au bout du bout épuisant et sans issue.
Co-écrit par la réalisatrice Jeanne Herry qui, dans Pupille (2018) et Je verrai toujours vos visages (2023) tient une gouverne sensible à travers le ressac des sentiments, Le Royaume aborde l’insularité et le problème corse par le biais d’un thriller minéral, doublé d’une élégie métaphysique.
Précision importante : le père de Julien Colonna n’est autre que Jean-Jérôme Colonna, (dit Jean-Jé) chef de clan, décédé en 2006, sur les routes de la Corse-du-Sud.
Avec Le Royaume, son héritier démontre que le cinéma demeure une alternative aussi louable que convaincante, à l’emprise du Fatum et la charge de l’hérédité.
Photographies : Ad Vitam Distribution.