La mélancolie des ombres

Actualité du 25/03/2023

Signé Joanna Hogg, diffusé l’an dernier sur nos écrans, The Souvenir I/II déroule un diptyque centré sur Julie (Honor Swinton-Byrne). L’étudiante en cinéma traverse une relation délétère avec Jack, dandy vaguement diplomate, toxicomane avéré. Effondrée, la jeune femme se reconstruit grâce au soutien discret de sa mère (Tilda Swinton) et la préparation d’un film inspiré par son histoire.

A l’ouverture de Eternal Daughter, Julie (Tilda Swinton) pousse la porte d’un hôtel. La quinquagénaire prend possession de la chambre qu’elle partagera avec Rosalind, sa mère, interprétée par… Tilda Swinton.

Le séjour réveille quelques épisodes heureux, vécus par Rosalind dans ce manoir planté au cœur du countryside gallois. Prévenante, Julie savoure la bonne humeur de Rosalind, qu’elle écoute puis enregistre à son insu. La cinéaste en mal d’inspiration perçoit dans les récits maternels le suc d’un film en devenir.

Si l’une renaît à la vie, l’autre se trouve écartelée entre le sourire retrouvé de sa mère et la sensation de piller, à son insu, son intimité. La dialectique des sentiments génère chez Julie un malaise, attisé par les manières triviales de la réceptionniste (Carly Sophia-Davies), les fugues du chien ou l’apparition d’un énigmatique jardinier-gardien de nuit (Joseph Mydell).

En dépit de la récurrence de la profession et des patronymes, Eternal Daughter relève plus du codicille que de la suite directe à The Souvenir. Prééminence de la mémoire, rédemption familiale, transcendance réparatrice de l’art, Joanna Hogg approfondit des sillons qu’elle insère dans les codes d’un film de genre.

Nature hivernale, crépuscule brumeux, vaste demeure, couloirs sinueux, escalier imposant, ombres portées, harmonies sombres et majestueuses de la Musique pour cordes, percussions et Célesta de Béla Bartók, le marasme de Julie coche toutes les cases du fantastique victorien. Joanna Hogg plonge dans la psyché de Julie comme Jack Clayton dans les tourments de Miss Giddens, gouvernante chavirée des Innocents (1961). Les ombres malveillantes tapies dans l’opacité des corridors, convoquent l’expressionnisme stylé des grandes heures de la Hammer Film.

Au delà de la performance d’actrice et du simple exercice de style, Eternal Daughter célèbre le mariage entre les inclinations d’une cinéaste et les stéréotypes d’une esthétique. Qui, mieux que Joanna Hogg, observatrice méticuleuse d’affects contrôlés, à l’origine d’une délicatesse souveraine, parfois sources d'inaltérables névroses, pouvait organiser la fusion accomplie entre une mélancolie élégante et un art de vivre révélateur des racines profondes d’une société ? Eternal Daughter exhale les charmes puissants de la bienséance.

 

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