Avec son 11ème opus Guillermo del Toro s’attelle pour la première fois à une adaptation littéraire. Publié en 1946 par William Grescham (1909-1962), porté à l’écran dès l’année suivante par Edmund Goulding (Le Charlatan), Nightmare Alley recense l’ascension de Stanton Carlisle.
Début des années 40, le vagabond s’incruste dans une fête foraine. Sans réelles difficultés Stanton (Bradley Cooper) s’attire les faveurs de Zeena (Tony Collette), entre en sympathie avec Pete (David Strathairn), mentaliste alcoolique, époux de Zeena et gagne les sentiments de Molly (Rooney Mara), la Fille Electrique. Après avoir subtilisé le livre de codes établi par Pete, Straton s’enfuit avec Milly. Deux ans plus tard le couple anime un numéro de transmission de pensée qui attire les foules, en particulier Lilith (Cate Blanchett), émule de Freud et accro aux bandes magnétiques. Une attrait bien compris aimante la clinicienne et l’histrion qui, l’un et l’autre, se repaissent de l’intime.
Dans sa première partie le film fleuve (2H30) s’écoule dans une foire détrempée (l’eau constitue l’un des thèmes matriciel du cinéaste). Moins pittoresques que poisseux, ces stands et baraquements, permettent à Del Toro de payer son tribut à Tod Browning (1880-1962), chantre du bizarre, auteur de Freaks (1932), chef d’œuvre inouï et inégalable. Par la suite, la fuite de Straton et Lilith, détourne le récit vers le film noir, appréhendé dans un gothique massif façon Ardéco, enveloppé de multiples nuances de pourpre.
Del Toro s’éloigne de ses zones de confort et se collette à de nouveaux stéréotypes qu’il peine à renouveler. Les hésitations se cristallisent sur les interprètes. A nouveau réunies depuis le très beau Carol (Todd Haynes 2015), Cate Blanchett et Rooney Mara sont proprement statufiées, le première en femme fatale, la seconde en ingénue immaculée. Quant à Bradley Cooper, également co-producteur du film, son Stanton Carlisle reste pétrifié, loin de la logorrhée vibrionnante, du charisme carnassier de Tyrone Power dans Le Charlatan ou de Burt Lancaster alias Elmer Gantry (Richard Brooks 1960).
Guillermo del Toro prolonge néanmoins son approche sur l'apparence des monstres. Trois ans après La forme de l’eau entravée par un colonel raciste (Michael Shannon), Nightmare Alley, sa praticienne manipulatrice et son bonimenteur sans conscience, peut s’appréhender comme le second panneau d’un retable sur l’Amérique trumpiste en particulier, sur l'émergence des gourous idéologues ou autocrates vociférants en général. La parabole s’avère judicieuse et majestueuse même si l’on eut aimé plus d’élan et moins de déférence.