La sixième femme de Barbe Rousse

Actualité du 29/03/2024

Divorcée, décapitée, décédée, divorcée, décapitée, vivante.

La comptine (authentique) résume les destins peu propices des épouses de Henry Tudor, roi d’Angleterre entre 1509 et 1547. Esprit cultivé, souverain charismatique,  Henry VIII fut, par ailleurs, un infatigable croqueur de compagnes. Ainsi, l’invalidation en 1534, d’un premier mariage avec Catherine d’Aragon, marqua la naissance de la Réforme schismatique d’avec la papauté romaine.

Le film s’ouvre au moment où le monarque (Jude Law) se lance dans la campagne de France. En son absence, Catherine Parr (Alicia Vikander), sa sixième conjointe, prend soin d’Édouard, Mary et Elizabeth, descendants royaux issus de précédentes unions. La reine consort régente également le royaume. A cet effet, elle entretient des liens avec les activistes réformistes, dont Anne Askew (Erin Doherty), passionaria libertaire.

Au même titre que les ferrets récupérés par les Trois Mousquetaires, une parure précieuse aiguillonne l’intrigue qui s’amorce au retour du chef de guerre.

Projet américano-britannique, adapté de la saga romanesque de Elisabeth Fremantle, Le Jeu de la reine est signé Karim Aïnouz. Porté vers l’expérimental et le documentaire, le réalisateur brésilien, d’origine algérienne, surprit en 2019 avec La Vie invisible d’Euridice Guzmao, fresque romanesque sur le destin contrarié de deux sœurs fusionnelles. La même dilection anime cette bande historique qui troque la splendeur policée des productions en costumes (spécialité britannique par excellence) pour une approche naturaliste des derniers mois d’un despote sur le déclin.

Les intérieurs et alentours du château de Hadden Hall, austère bâtisse du XIème siècle, les sobres lumières composées par Hélène Louvart, l’ampleur des vêtures, qui épaississent les silhouettes et ankylosent les mouvements, le film baigne dans un vérisme rustique-hivernal, en décalage avec la flamboyance des épopées féodales sur grands (et petits) écrans.

L’âpreté de la direction artistique enveloppe un canevas qui enchevêtre les registres : du mélodrame au huis-clos acrimonieux, sans omettre les conspirations intestines, indissociables des sphères de pouvoir. Ces partis-pris se cristallisent sur Catherine, Henry et leurs interprètes. Comme le suggère son titre français, Le Jeu de la reine repose sur l’affrontement de deux intelligences. Alicia Vikander campe une mère vigilante, épouse prévenante, tacticienne éprouvée, qui porte sang-froid et clairvoyance à leur plus haute acception. Face à elle, le beau Jude Law se dépare, s’alourdit dans ce monarque rompu, que la gangrène réduit à la posture d’un patriarche patelin mais capable de soudains et terrifiants coups de griffe. Servie par ces acteurs royaux, la confrontation insidieuse devient la pierre angulaire de cet épisode rugueux, organique, riche de complexités.

Dans l'air du temps mais à l'écart des schématismes anachroniques, Le Jeu de la reine renouvelle les canons du film de reconstitution et transfigure une figure méconnue en icône féministe. Si L’Agitatrice (du titre original : The Firebrand), s’en est sortie, elle ne le doit vraiment qu’à elle-même. Rescapée ultime des serres de l’ogre, Catherine Parr mérite la plus ample des révérences.

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