Dans l’ergonomie versatile du cinéma indépendant, Steven Soderbergh s’impose comme un modèle d’indépendance. Couronné d’une Palme d’or cannoise dès sa première fiction (Sexe, mensonges et vidéo 1989), le géorgien d'Atlanta développe depuis une filmographie dès plus prolixes. L’activité composite combine film-dossier (Traffic 2000, L’Affaire des Panama Papers 2019 ), biopic (Kafka 1991, Che 2008), auto-portrait expérimental (Schizopolis 1997), remake (Solaris 2002), blockbuster planétaire (la franchise Ocean Eleven 2001-2007).
En 2013, le bonhomme déclare abandonner le cinéma pour les chaînes câblées et les plates formes balbutiantes. Pourtant, la même année, Ma vie avec Liberace connaît le tapis rouge du Festival de Cannes. Par ailleurs, sous le nom de Peter Andrew et Mary Ann Bernard, Soderbergh signe lui-même la photographie et le montage de la plupart de ses réalisations.
Cinq semaines après la sortie de Présence, thriller à base de revenants, tourné dans sa villa et sur ses deniers, The Insider déboule sur les grands écrans. Pour l’occasion, Soderbergh mobilise Kate Blanchett, fréquentée dans The Good German (2006) et Michael Fassbender, protagoniste central de Piégée (2012), virevoltant cocktail d’art martiaux et d’espionnage.
Les officines de renseignement et plus précisément le M 16 britannique sont de nouveau au centre d’une quête contre la montre. A l’ouverture, George Woodhouse apprend qu’il dispose de sept jours pour démasquer un agent double et éviter une apocalypse nucléaire. Pour corser l’enquête, Kathryn, son épouse, figure sur la liste des cinq suspects.
Prétexte et contexte s’inspirent de La Taupe, classique de la littérature d’espionnage signé John Le Carré (1931-2020). Mais ici, les fonctionnaires terreux portraiturés en 2012 dans l’adaptation de Tomas Alfredson, cèdent la place à des opérateurs madrés dans leurs vêtures de marque.
Si elles occasionnent quelques morts violentes et dissimulent un virus informatique dans un porte-clés, les péripéties éludent l’action pour les conversations. De soupers en briefings, en passant par quelques séances d’analyse et parties de pêche, il apparaît que ce milieu d’élite confond allègrement vie privée et missions ultraconfidentielles. Du credo intérieur au dilemme intime, les secrets d’état ou professionnels s’en trouvent passablement écornés.
Les dialogues et le scénario lapidaires de David Koepp assurent les fondations d’une usine à gaz consanguine, dans laquelle Soderbergh fructifie son inclination pour les stratégies de manipulations et la distance ironique, avec, ça et là quelques appétences scoptophiles.
Sous son regard perspicace et caustique, le monde du renseignement se déploie en une constellation d’officines qui malaxent pragmatisme, marivaudage et très haute technologie. Rattrapé par les menaces guerrières qui plombent l’actualité, The Insider captive autant qu’il amuse par sa verve démystificatrice.
L’on notera, à ce titre, que situé dans la patrie de James Bond, la distribution réunit Naomie Harris, alias l’ingénieur Q depuis 2012 et le Skyfall de Sam Mendes. A ses côtés Pierce Brosnam ; celui qui incarna OO7 à cinq reprises (1995-2002) figure un chef de service engoncé, aigri et grisonnant. Le visage ridé de Michael Fassbinder, la physionomie déridée de Miss Blanchett le confirment : le temps a la dent dure, même pour les cadors et légendes des services secrets.
Photographies : Universal Pictures.