La tendresse est politique

Actualité du 06/12/2022

Annie Colère, l’énoncé du titre, adossé aux prestations souvent éruptives de Laure Calamy (Antoinette dans les Cévennes 2020) laisse augurer un précipité d’éclats et indignations. A l’écran le film de Blandine Lenoir apparaît cependant comme le négatif inversé de L’Evènement (couronné d’un Lion d’or au Festival de Venise 2021). Adapté d’un roman d’Annie Ernaux, le film d’Audrey Diwan détaille le calvaire d’une étudiante décidée à interrompre une grossesse non désirée. Annie Colère se déroule en 1974, soit dix ans après les faits décrits dans L’Evènement.

Le souvenir de mon avortement est plus doux que celui de mon mariage, cette affirmation singulière résume le parcours d’une ouvrière matelassière, déjà mère deux enfants et peu désireuse d’élargir sa famille. Dans une petite ville du centre de la France, Annie se glisse dans l’arrière boutique d’une librairie où se réunissent des femmes et quelques hommes.

Constitué de médecins, infirmières ou simples bénévoles, le groupe pratique des avortements, selon la méthode Karman, plus rapide et moins douloureuse que les procédures habituelles. Non seulement Annie est prise en charge avec vigilance et délicatesse mais la fréquentation de ses accompagnants, amorce chez elle une prise de conscience.

Annie Colère tient de l’épopée et de l’épiphanie. Blandine Lenoir ravive les activités du MLAC. Fondé en 1973, le Mouvement pour la Liberté de l’Avortement et la Contraception fédéra jusqu’à 15 000 adhérents répartis en cellules vouées à la pratique de l’avortement mais aussi l’information, plus que défaillante à l’époque, sur les méthodes contraceptives. Le récit historique souligne le melting-pot social et générationnel brassé par MLAC, tant chez ses patientes que ses activistes.

Après l’intervention, Annie réintègre son quotidien, le cœur allégé mais l’esprit plus affûté. A portée de bicyclette s’activent des hors la loi en faveur d’objectifs dès plus légitimes. Une tragédie à la porte à côté et Annie passe de sympathisante à militante.

On retrouve dans cette évocation sociologique les particularités découvertes dans Aurore (2017), portrait d’une chômeuse quinquagénaire (Agnès Jaoui), requinquée par ses filles et son amie de toujours. Asséné vers la fin d’Annie Colèrela tendresse est politique, affirme le cinéma de Blandine Renoir.

Même si les termes sont assaisonnés à toutes les sauces, la réalisatrice aime esquisser l’altérité, capter la bienveillance, lorsqu’une main effleure une épaule, le temps d’un geste qui écarte quelques cheveux ou s'attarde sur des doigts qui s’enserrent autour d’un filet de voix. Blandine Renoir filme à merveille l’amitié féminine, la pertinence irréfutable d’une douce argumentation, le solide corset de l’éducation (lorsque elle intègre l’association, Annie sert des cafés.., comme à la maison).

En ces temps de vindictes numériques, de clivages organisés, il est agréable de partager les convictions de femmes et d’hommes qui agrègent leur talent, complètent leur différence, au service d’une noble cause qui, près d’un demi siècle après l’adoption de la Loi Weil, se trouve à nouveau menacée.

Enfin, outre l’étendue de son talent, Laure Calamy confirme avec Annie Colère la qualité de ses engagements.

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