La vengeance et le pardon

Actualité du 30/04/2024

L’amour au premier regard ? Ça y ressemble furieusement, à l’instant où Holger Olsen le danois (Viggo Mortensen) et Vivienne Le Coudy, la québécoise (Vicky Krieps), se repèrent sur un quai de San Francisco. L’aventure se cristallise lorsque la fleuriste abandonne son étal pour suivre le cavalier jusqu’au Nevada. Le couple plante son Jardin d’Éden dans un canyon, proche d’une petite ville régentée par le tout puissant Alfred Jeffries.

The Dead don’t hurt (les morts ne blessent pas), ce titre insolite désigne la seconde réalisation de Viggo Mortensen. Le film s’annonce comme un western et s’ouvre néanmoins sur une apparition médiévale. Par la suite le bonhomme bouleverse les temporalités, parsème les ellipses et tortille les stéréotypes.

Situé en 1860, Jusqu’au bout du monde (titre français) raconte une conquête de l’ouest, pas une lutte sanguinaire pour un territoire mais la quête d’un bonheur discret. Mortensen tisse une trame élégiaque, fondée sur la complicité. Holger et Vivienne partagent une dignité bien comprise, tannée par les errances et les adversités. Lorsqu’il part rejoindre les armées nordistes contre une prime et parce qu’il sait se battre, elle ne s’oppose pas. Mais s’il revient, il faudra réapprendre à s’aimer.

Mortensen creuse le sillon de la famille et la filiation amorcé dans Falling (2021), son premier opus, face à face entre un fils homosexuel et un père viscéralement homophobe. Une animosité furieuse émerge à nouveau lors de la sidérante mise joue du sinistre Jeffries par Weston, son fiston sociopathe.

Mais c’est bien Vivienne-Vicky Krieps qui polarisent le récit. Taiseuse, parfois rieuse, indépendante mais attentive, la jeune femme n’oblige pas mais ne lâche rien. Elle affronte les obstacles et même le Mal, droit dans les yeux puis assume sans quérir de clémence. Déterminée, imperturbable, Vivienne s’incruste dans un milieu et des usages édictés par les hommes. Le scénariste-réalisateur-interprète, s’estompe et donne toute son ampleur à cette figure féminine, sublimée par une partenaire dotée d’un force intérieure déjà palpable dans Phantom Thread (Paul Thomas Anderson 2017) et le méconnu Bergman Island (Mia Hansen-Love 2019).

Ceci écrit, ça surine, ça malmène, ça outrage.., ça contamine même (quatre films sous la direction de David Cronenberg, expert es-divagations organiques, ne laissent pas sans séquelles). Viggo Mortensen sacrifie aux codes du genre mais à sa manière et livre la recension d’une vengeance, doublée d’une fable sur le pardon.

Délicat mais dépourvu de condescendance, Jusqu’au bout du monde respire le plaisir et la liberté de filmer, tout au long d’un récit de vie, nourri de connivence, d’intelligence, de réparation. Une vraie, belle, histoire d’amour.

Photographies : Marcel Ziskind/Metropolitan Films.

 

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