La vérité sur Richard III

Actualité du 30/03/2023

Plus de cinquante ans de carrière, près de soixante films au compteur, Stephen Frears mène sa barque à travers les genres: du réalisme social (My beautiful Laundrette 1985) aux adaptations en costumes (Les Liaisons dangereuses 1988), du polar sulfureux (Les Arnaqueurs 1990) à l’épouvante gothique (Mary Reilly 1996). Le cinéaste pratique encore le biopic, sportif (The Program 2015 sur les performances améliorées du champion cycliste Lance Armstrong) ou institutionnel (The Queen 2006, centré sur les tourments de la reine Elizabeth II, suite au décès de Lady Diana).

Écrit par Steve Coogan et Jeff Pope, inspiré par l’épopée archéologique de Philippa Langley qui, en 2012 localisa la tombe du roi Richard III, The Lost King entre dans la dernière catégorie et s’inscrit dans le sillage de Philomena. Signé en 2013 par les même scénaristes, le film retrace les démarches de Philomena Lee. Au crépuscule de sa vie, l’obstinée irlandaise entreprit de retrouver le fils qu’elle mit au monde et abandonna, un demi siècle auparavant, dans un couvent dédié aux filles-mères.

Je pense être intéressante mais je suis bien la seule.

Émaciée plus que jamais, Sally Hawkins incarne Philippa Langley. Séparée de son époux, pressurée par les exigences de résultats édictées par ses employeurs, la quadragénaire coche toutes les cases du burn out. Un soir Sally se rend au théâtre d’Edimbourg, où l’on joue Richard III de Shakespeare. A la suite de la représentation et suite à une brève conversation avec…, Richard himself (Harry Lloyd), Philippa se pique de curiosité pour ce monarque chassé du trône par les Tudor. Après adhésion à la Richard III Society, l’impétrante entreprend, en toute simplicité, de retrouver la sépulture de ce roi syphosé, maudit à la scène et néanmoins apprécié par ses sujets.

Au delà de sa versatilité artistique, Stephen Frears affiche, dans bon nombre de films, une prédilection pour les jeux de pouvoir et les stratégies de manipulations. The Lost King surprend par son apologie de l’imagination et l’intuition. Bravant l’incompréhension des siens, les ultimatums professionnels, l’accueil surplombant d’universitaires, confis dans le prestige et la paresse d’un savoir diplômé, Philippa trace son enquête. Elle consulte, se documente, comble son ignorance et assouvit son mal être par des conversations imaginaires, doublées d’une soif obsessionnelle de connaissances. Observateur scrupuleux,  Frears dissèque l’abattement, la dépression. Puis réglant son film sur l’utopie de son héroïne, il chronique sa fuite en avant dans la fantaisie affûtée et le tact abrasif qui innervent son cinéma.

Sans doute pour complaire au Tudor, William Shakespeare transféra un précipité d’ambition, de rancœurs et de souffrances sur ce souverain, figure centrale d’une tragédie à la cruauté radicale, vertigineuse, inaltérable. Pourtant ce roi Richard (1452-1485) avait bon fond. Il fallait bien un excentrique cinéaste, né il y a 82 ans à Leicester (où repose désormais Richard III), pour tordre le cou aux affabulations d’un compatriote dramaturge.

Entre la vérité et la légende, imprimez la légende. Proclamait James Stewart à l’issu de L’Homme qui tua Liberty Valance (John Ford 1962). Cinq siècles auparavant, William Shakespeare avait déjà tout compris. Ce qui n'empêche en rien The Lost King de se déguster comme une délicieuse tranche de cinéma.

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