Le blues du vampire dans le noir

Actualité du 21/04/2025

 

Les triomphes commerciaux de Creed (2015), déclinaison afro-américaine de la saga Rocky Balboa, puis du diptyque Black Panther (2018-2022), tête de pont de la culture africaine au sein du barnum Marvel, ont sans doute pesé sur la confiance accordée à Ryan Coogler par la Warner Brothers.

Confronté au mastodonte Disney, propriétaire des licences Marvel et Star Wars, le studio de Burbank, positionne ses super-héros (Superman, Batman, Joker, Mad Max…) dans des productions ciblées sur un public plus adulte. Ainsi, à la suite de George Miller (Mad Max) et Todd Phillips (Joker), Ryan Coogler bénéficie, à son tour, d’une carte open bar.

Qu’on en juge : Sinners (Pécheurs) nous transporte dans le delta du Mississippi, à l’orée des années 30. Dans un contexte régi par les lois ségrégationnistes et la prohibition sur les ventes d’alcool, les jumeaux Elijah et Elias (Michael B. Jordan, acteur fétiche du réalisateur dans un double rôle), reviennent au pays au volant d’un camion chargé de bière et de whisky.

Sur place, le duo rachète une ancienne menuiserie à un blanc (David Maldonado), à l'évidence affidé au Ku Klux Klan. Déterminés à ouvrir le soir même un bar-dancing, les frangins renouent avec leur ex : Marie (Hailee Steinfeld) et Annie (Wunmi Mosaku), plus quelques potes, dont Sammy un surdoué de la gratte (Miles Caton), Delta Slim pianiste cacochyme (Delroy Dindo) et un couple d’épiciers asiatiques (Li Jun li et Yao).. .

Au même moment, à l’autre bout de la ville, un groupe d’amérindiens met en garde des fermiers contre un certain Remmick (Jack O’Connel), vampire blanc et blafard (et par ailleurs solide joueur de Country).

L’édification de cette usine à gaz narrative donne lieu à une verbeuse exposition qui squatte la première heure des péripéties. La seconde détaille la soirée inaugurale du Juke bar.

La Nuit des Morts Vivants (George A. Romero 1968), Une nuit en enfer (Robert Rodriguez 1996) inspirent le siège nocturne. Mais, indifférent à l’intelligence tragique du premier et la truculence gore du second, Ryan Coogler opte pour une étonnante mixture à base de grand-guignol et de comédie musicale. A ce titre, loin du final, enchaînement d'inévitables carnages, le climax de Sinners réside dans un étourdissant plan-séquence qui, de la kora africaine aux platines DJ, traverse l’histoire de la musique noire. 

En conséquence, ce précipité excentrique étonne, abasourdi mais peine à enflammer. Car Coogler scénariste, pratique la juxtaposition plus que le mélange des genres. Le manichéisme musical (la musique blanche est conservatrice, la noire progressiste), la théâtralité pontifiante des séquences sentimentales, le schématisme monomaniaque des représentations liées à la diversité et l’intersectionnalité, plombent ce projet qui ne concrétise qu’en partie, la singularité et le culot de ses intentions.

A l'arrivée, Sinners illustre la situation d'un système hollywoodien, partagé entre les produits franchisés, hyper-standardisés ; et les objets confiés à des réalisateurs (auteurs ?), préservés des interventions parfois judicieuses des producteurs. Cela débouche sur le meilleur : Babylon (Damien Chazelle 2022), Joker (Todd Philips 2019) ou le pire : Amsterdam (David O. Russel 2022, Joker, folie à deux (Todd Philips 2024).

Manifeste phare ou ineffable nanar ? A quelle catégorie appartient Sinners ? A chacun sa solution.

Photographies : Warner Bros

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