S’ils émergèrent tous deux à l’orée des années 70, Patrice Leconte et Gérard Depardieu n’avaient jusqu’alors, jamais collaboré. Le vide est désormais comblé, par Maigret interposé.
Absent des cinémas depuis Jean Gabin (Maigret voit rouge, Gilles Grangier 1963), le commissaire arbore en 2020 la neurasthénie ostentatoire cultivée par Depardieu. Sujet désormais incontournable de chacun de ses films, l’acteur est ici un homme essoré, essoufflé, admonesté par son médecin (Hervé Pierre dans un savoureux second rôle, certifié cinéma de papa). Sur le fil du rasoir (et de la retraite), le limier puise un second souffle lorsqu’une jeune fille est retrouvée, sauvagement poignardée.
Rochefort, Marielle, Noiret, Delon, Belmondo, Johnny Hallyday, Gérard Depardieu.., Patrice Leconte aime jouer avec l’aura des monstres sacrés. Fidèle à ses pratiques, le réalisateur et son scénariste Jérôme Tonnerre, alimentent le personnage avec le vécu de son interprète. Ainsi le commissaire qui pleure sa fille est incarné par un homme qui a perdu un fils. L’osmose se déploie avec tact dans l’écriture et la mise en scène, avec mesure dans l’interprétation.
33 ans après Monsieur Hire, Patrice Leconte s’aventure à nouveau dans l’œuvre de Georges Simenon. Les analogies ne manquent pas entre le misanthrope solitaire campé par Michel Blanc et le limier taciturne incarné par Depardieu. Les désirs de l’un, les affects de l’autre se coagulent dans le silence, l’observation, parfois jusqu’au voyeurisme.
Leconte transpose le spleen pointilliste de Simenon dans une noirceur stylisée. Au même titre que les protagonistes de Tandem, Le parfum d’Yvonne, Confidences trop intimes.., Maigret s’imprègne d’une réalité plus qu’il ne la façonne. Harry Baur, Albert Préjean, Jean Gabin, Michel Simon mènent leur affaire dans un surplomb débonnaire. Alourdi, harassé, Depardieu surnage dans le désarroi ambiant. Il écoute, voire prend sous sa coupe des gens de peu mais il garde son chapeau lorsqu’il s’invite dans le salon des grands bourgeois. La lassitude n'exclut en rien la conscience citoyenne. .. du personnage. Pour l'acteur cela reste à discuter.
A l'origine de comédies souvent pétillantes, parfois paresseuses (Les bronzés 3 (2006), Une heure de tranquillité (2014).., Patrice Leconte renoue grâce à Maigret, avec les troubles et les zones d’ombre, moteurs de son meilleur cinéma. Preuve que les auteurs comiques dissimulent d’inépuisables mélancolies.