Le film s’ouvre, en hiver, sur une longue traversée forestière, le regard rivé vers les cimes des arbres. Résineux touffus, feuillus décharnés, la survivance alterne avec le dévitalisé. Mentions génériques sur fond noir, de brusques incises bousculent la déambulation, enveloppée des nappes orchestrales distillées par Eiko Ishibashi.
Revenu au sol, l’on suit le trajet d’une fillette qui rejoint la maison où le père débite (tout aussi longuement) du bois de chauffage. Au même titre que les noirs ou silences qui étirent l’ouverture de certaines propositions théâtrales, ce préambule erratique installe un sas entre le tumulte du réel et la respiration d’une narration, attachée ici, à la placide routine d’un hiver montagnard.
Survient le conflit, suscité par les émissaires d’investisseurs, désormais propriétaires d’une portion de territoire, afin d’y installer un site de glamping (camping haut de gamme pour urbains surmenés). L’écoulement des eaux usées, susceptible de polluer la nappe phréatique, suscite les réserves voire l’hostilité des autochtones.
Auteur de Drive my car (Prix du scénario, Festival de Cannes 2021) et de Contes du hasard et autres fantaisies (Grand prix du jury, Festival de Berlin 2021) Ryusuke Hamaguchi, avec Le mal n’existe pas (Lion d’argent, Festival de Venise 2023), installe un conflit écologique, comme il s’en multiplie dans l’actualité et les fictions (Dark Waters-Todd Haynes-2019, Au nom de la terre-Edouard Bergeon-2019…).
Passée l’assemblée générale qui pose les antagonismes, le récit bifurque vers l’inattendu : déplacement du point de vue, des habitants vers les promoteurs, changement d’attitudes, dont ne sait s'ils relèvent d’un simple stratagème ou d’une sincère révélation. En bout de course, la fable s’invite dans un épilogue où le funeste se pare d’une troublante perplexité.
S’il déroute par ses ruptures de ton, Le mal n’existe pas irrite parfois par ses poses auteurisantes. Le point de départ de projet relève d’un processus d'installation, élaboré à partir des compositions de Eiko Ishibashi, par ailleurs très influencée par la majesté lancinante des harmonies de Max Richter. Distension de la durée, le dispositif glisse du majestueux au languissant. Au bout du conte, Hamaguchi multiplie les signes qui titillent, dans une ostentation appuyée, l’imagination du spectateur.
Affairisme des villes contre sagesse des champs, conduit par un observateur perspicace et fin dialoguiste, Le mal n'existe pas combine le convenu et l’inattendu. Le précipité déroute, envoute mais irrite parfois dans certains partis pris, proches de la roublardise.
Photographies : Diaphana distribution.