Le corps accomplit la volonté de l’esprit

Actualité du 16/06/2024

Le cinéma de Rose Glass conjugue les corps au féminin. L’infirmière, héroïne de Saint Maud (2020), son coup d’essai, se prend de compassion pour une ancienne danseuse en phase terminale. Dans Love Lies Bleeding, son second film, Lou (Kristen Stewart) tenancière d’un club de gym, s’enflamme pour Jackie (Kathy O’Brian), en transit vers une compétition culturiste.

Le corps accomplit la volonté de l’esprit.

Signe de l’époque : les année 80, âge d’or de la gonflette, quelques flacons de stéroïdes suffisent pour que Jackie lui tombe dans les bras. Celle-ci prolonge donc son séjour dans une bourgade du Nouveau Mexique, sur laquelle le patron du club de tir : Lou Sr. (Ed Harris, visage creusé, chevelure filandreuse façon Julian Beck, 1925-1985, gourou du Living Théâtre), règne sans partage.

La bruine de la Mer du Nord cède la place aux écrasantes clartés du Sud étasunien mais le processus demeure. Si Saint Maud combine le vérisme Kitchen-Sink, propre au Free Cinéma, prolongé par l’œuvre de Ken Loach, avec les textures gothiques des Hammer films, Love Lies Bleeding Glass relève d’une hybridation bien plus sophistiquée.

Rose Glass, élargit son creuset où elle jette la fuite en avant de Telma and Louise (Ridley Scott 1991) et les polars rugueux, rigoureux des frères Coen (Blood Simple-1984, No country for old men-2007…). Cependant, des Voyages de Gulliver de Dave Fleischer (1939) à L’Incroyable Hulk ou L’Attaque de la femme de 50 pieds (Nathan Jura 1958), en passant par des fulgurances body horror dignes de David Cronenberg, les récurrences organiques se multiplient dans de délirants rapports d’échelles.

Mais c’est Shakespeare qui surmonte la pièce montée, A l’instar de l’immense Will, capable de fondre tragédie, fantasmagorie, trivialité dans des épopées d’une profondeur inépuisable, Glass et Weronika Tofilska sa coscénariste, malaxent flammes lesbiennes, féminicides, exactions patriarcales dans un effarant précipité. Certes la concoction flaire fort l’opportunisme. Mais, à l’image de la complexité malade qui lie Lou à son père, l’arrière goût se sublime dans une implacable dissection des passions humaines, en rupture avec les idéologies théoriques et la bien-pensance manichéenne (très tendances en ces temps modernes).

La douleur est la faiblesse qui s’échappe du corps.

Il existe, par ailleurs, bien des accointances entre Julia Ducournau et Rose Glass. Mais si la réalisatrice de Grave (2016) et Titane (2021) assène ses approches viscérales sans démordre de la radicalité, sa consœur britannique parsème ses thrillers physiologiques d’extravagantes incises, dans lesquelles le cauchemar se patine d’une ironie aussi réjouissante qu'inattendue.

The Power (Corinna Faith 2021), She Will (Charlotte Colbert 2021), Samhain (Kate Dolan 2021), Censor (Prano Bailey-Bond (2021).., inscrit dans l’ADN du cinéma britannique, le Fantastique s’étend, ces dernières années, en un nouveau rhizome, une école féminine dont Rose Glass s’affirme comme l’incontestable cheffe de file. Soutenu par de formidables interprètes, son Love Lies Bleeding est un bonheur de film tordu.

Photographies : Métropolitan Filmexport.

 

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