Le marin et la mondaine

Actualité du 24/03/2022

Ildiko Enyedi affectionne les idylles difficultueuses. Dans Corps et âmes (2017), une jeune employée autiste et son directeur taciturne ne pouvaient s’aimer que par rêves interposés. Pour son nouvel opus, la cinéaste hongroise adapte L’Imaginaire, roman publié en 1940 par son compatriote Milan Füst.

Peut-on imaginer ouverture plus romanesque ? Un café parisien au cœur des années 20, assis à une table, Jakob Stöor (Gijs Naber) décide d’épouser la première femme qui franchira la porte. Question charme et beauté, le hasard n’agit pas dans la demi mesure, lorsque Lizzy (Léa Seydoux) se pose à quelques mètres du parieur. La belle française accueille la demande dans un sourire amusé, énigmatique, pas vraiment réprobateur. Dès la séquence suivante elle et lui sont mariés. Ils ne reste qu’à s’aimer.. .

Jakob est capitaine au long cours. Seul maître à bord, flanqué d’un équipage fidèle, le pacha brave les tempêtes, surmonte les accidents et s’arrime toujours à bon port. Mais sur la terre ferme, le marin perd son expérience et ses intuitions. Contrôler l’incontrôlable, la tâche devient ardue lorsqu’on se frotte aux sentiments.

Ildiko Enyedi se place aux côtés du marin, elle partage ses perceptions. Jakob est convaincu que Lizzy ne l’aime pas. Les circonstances de leur union, son indifférence polie, son absence de jalousie attestent son désamour. Pourtant s’additionnent des plans furtifs : bref coup d’œil vers une horloge, regard appuyé d’une jeune vendeuse, jeux d’eau de matelots dénudés.., qui suggèrent qu’il existe d’autres points de vue, révélateurs d’autres  états, d'autres histoires.

Carrure massive, mâchoire carrée, passivité mutique, Gijs Naber laisse percer la crainte de l’autre, le désarroi de l’indécision. Face à lui, Léa Seydoux suggère des énigmes tapies derrière la désinvolture. Entre les années folles parisiennes et l’austérité protestante hambourgeoises, L’Histoire ma femme est une production d’époque, dépouillée du rococo des films en costumes. Dans ce classicisme stylisé, Ildiko Enyedi combine les fièvres de Goethe et le scalpel d’Ibsen. Vraiment, L’Histoire de ma femme est un beau film romantique.

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