Le papillon et le grognon

Actualité du 10/09/2023

Les berlines allemandes ne sont plus ce qu’elles étaient. La défaillance du joint de culasse d’une Mercedes, abandonne Leon (Thomas Schubert) et Felix (Langston Uibel) au cœur d’une forêt, en lisière de la mer Baltique. Au crépuscule, les deux amis rejoignent, enfin, la villa que le père de Felix leur confie, afin que l’un termine son roman et l’autre complète son portfolio photographique. Second imprévu : la maison est occupée par Nadia, (Paula Beer), jeune femme mutine et souriante, qui disparaît dans la journée, revient le soir, parfois accompagnée par David (Enno Trebs), surveillant de la plage voisine.

Le Ciel rouge est le nouveau film de Christian Petzold. La figure tutélaire du cinéma allemand des années 2000 affectionne les égéries. Petzold a tourné cinq films, aux côtés de Nina Hoss. Outre la fidélité à l’actrice, chaque titre témoigne d’un intérêt pour l’histoire de l’Allemagne : la débâcle nazi (Phoenix 2014), la scission Est-Ouest (Barbara 2012), l’après réunification (Yella 2007).

Depuis Ondine (2020), la beauté altière de Nina cède la place à la frêle silhouette de Paula. La nouvelle connivence déplace l’inspiration du réalisateur qui, sans renier ses inclinations romanesques, bifurque de la rigueur mémorielle aux rêveries de la fable.

Après le mélodrame et le thriller, Petzold verse dans le film de vacances, parenthèse enchantée, au cours de laquelle, chacun se retrouve avec du temps pour s’extraire des fonctions habituelles. Ce n’est pas le cas de Leon. Chemise sombre, pantalon noir, le bonhomme s’endort à tout bout de champ, tire la gueule pendant les repas et, à chaque proposition divertissante, ne cesse de rappeler qu’il travaille sur son livre (qui par ailleurs n’avance pas).

 

Face à ce bloc de mauvaise humeur, Nadia persiste dans les sourires et les signes d’intérêt. S’il la surveille jusqu’à l’indiscrétion, l’écrivain-chagrin surplombe ce papillon écarlate, qui s’envole tous les matins pour vendre des glaces aux vacanciers. Pourtant, la superficialité peut s’avérer trompeuse.

Covidé, confiné, Christian Petzold traversa la pandémie, à la découverte des films d’Eric Rohmer (1920-2010), dont l’œuvre, des Contes moraux aux Comédies et proverbes, dresse un large glossaire de rendez-vous manqués. Dans le sillage des figures rhomériennes, il y a quelque chose de drolatique puis d'exaspérant dans les postures infantiles de Leon. Face à ce précipité d’orgueil, de timidité, de peur panique, à l'approche du bonheur et de l’incertain, l’on reste admiratif devant la patience espiègle de Nadia, alors que le temps presse dans cet écrin sylvestre cerné par les incendies.

Lorsque du ciel rouge, tombe une pluie de cendres, le marivaudage d’été change de registre. Voix off, désastre écologique et éruptions mythologiques, alimentent un épilogue, dont la sublime mélancolie entre en écho avec le poème de Henrich Heine (1787-1856), dédié aux Asra, ceux qui meurent quand ils s’aiment. Pas de doute Christian Petzold est un digne héritier de Goethe et Le Ciel rouge, une merveille de romantisme au cinéma.

Photographies : Christian Schulz / Schramm Film/ Les Films du losange.

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