Le pèlerinage du paysan

Actualité du 08/08/2022

Une vaste plaine à proximité d’Ankara, Hasan cultive des tomates et des pommes. L’homme ne ménage ni son temps, ni sa peine, pas plus qu’il ne mégote sur les engrais et pesticides. Sur cette lande écrasée de soleil, balayée par le vent, l’agriculture raisonnée reste hors champ. Lorsqu'un projet à haute tension oblitère l’une de ses parcelles, le fermier s’affaire afin que le pylône s’érige sur le sol d’à côté. Quand, acculé par les banques, un voisin (et ami) de longue date brade sa terre, Hasan, le ton humble et le sourire clément, lui tend une main moyennement secourable.

Il y a du Père Grandet chez ce taiseux âpre au gain. Pourtant à l’inverse du hobereau balzacien, Hasan étouffe peu son entourage, à commencer par Emin, l’épouse qui ne s’en laisse pas conter, ni compter, lorsqu’elle marchande une nappe commandée à une brodeuse aux abois.

Pourtant Hasan et Enim voient leurs intérêts bien compris, perturbés par un pèlerinage à la Mecque gagné par tirage au sort. Si l’entrée du lieu sacré est garantie, à charge aux pèlerins de financer voyage et hébergements avant d’accéder à la Mosquée après avoir acquitté leurs dettes et expié leurs péchés. Contraint par les circonstances, Hasan entreprend d’apurer les comptes avec les autres et lui même.

Chantre d’une ruralité qu’il filme dans une contemplation circonspecte, Semih Kaplanoglu suit les démarches d’un homme amené à soulever des tapis sous lesquels sommeillent petites combines et anciennes négligences. Le retour vers un passé plus ou moins lointain, occasionne une introspection chez le paysan dont le pragmatisme tranquille devient révélateur de la corruption quotidienne avalisée par le régime en place. La chronique pastorale oblique alors vers un voyage intérieur, jalonné de visions inquiètes et de rencontres kafkaïennes, telles le dialogue avec l’expéditeur de tomates ou les retrouvailles finales synonymes de solitude définitive.

Présenté lors du Festival de Cannes 2021, Les Promesses d’Hasan arrive enfin sur les écrans. En ces longues et étouffantes soirées d’été, l’on peut prendre le temps de se fondre dans ce pamphlet élégiaque qui associe la rigueur du moraliste et les émois du paysagiste.

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