Les convictions à l’épreuve de la réflexion

Actualité du 25/08/2022

Révélé l’an dernier avec La loi de Téhéran, polar intense sur la place occupée par la drogue dans la population et l’économie iraniennes, Saeed Roustaee revient et change de registre. 

Pourtant, dans la lignée de l’opus précédent, Leila et ses frères s'ouvre dans la panique et le fracas d'une révolte ouvrière suite à la fermeture brutale d’un laminoir. Allergique aux conflits, Alireza (Navid Mohammadzadeh) s’échappe et réintègre sa famille où végètent sa sœur et ses trois frères, sous la coupe d’une mère indifférente (Nayereh Farahani) et d’un père (Saeed Poursamim) à la santé aussi mauvaise qu’inoxydable. Alireza retrouve Parviz (Farhad Aslani) technicien de surface en surpoids, Farhad (Mohammad Ali Mohammadi) aux abdominaux en guise de cerveau, Manoucherch (Payman Maadi) combinard friand de martingales et Leila (Taraneh Allidousti) bientôt quadragénaire et toujours sans époux. L’histoire peut débuter.

L’intrigue se cristallise sur l’espace-boutique disponible dans un centre commercial en pleine activité. En vue de l’acquisition, chacun vend, cède, mutualise ses économies. Leila incite, oriente, conseille et établit la feuille route du projet. Pour boucler le tour de table, la fratrie sollicite le paternel qui, tel Harpagon, revendique une cassette remplie de 40 pièces d’or.

Mais un évènement bouscule l’opération. Au ban de son clan, le père se voit proposer le parrainage d’un mariage : un honneur doublé d’un onéreux retour en grâce car le parrain doit offrir aux mariés le cadeau le plus beau (et le plus cher). Leila devine les arrières pensées tapies derrière l’invitation mais elle se heurte à la vanité viscérale du patriarche.

Il s’ensuit une série de péripéties dramatiques, drolatiques, parfois sévères qui convoquent le vérisme désenchanté des Vitelloni (Federico Fellini 1953) et l’aliénation désespérante d’Affreux, sales et méchants (Ettore Scola 1976).

Agencés dans une polyphonie syncopée, les dialogues prééminents, enserrent la fête nuptiale, sommet de mise en scène autour d’un rituel scrupuleusement codifié. Dans ce moment, la puissance de l’argent, la chape des apparences atteignent une apothéose où l’arrogance s’agrège à la cruauté. L'épreuve est immense mais les humiliés, conservent des ressources.

Admirablement construite et interprétée, Leila et ses frères est une chronique familiale tendue, imprévisible, au dessus des abîmes qui séparent les convictions (ici masculines) de la réflexion (en l’occurrence féminine). Atavisme issu des légendes persanes ? Les réalisateurs iraniens possèdent l’art de la fable, la science du sous entendu, le talent de l’arrière plan qui leur permettent d’agoniser ce qui est caché ou honnis par les religieux. Au même titre que ses collègues Jafar Panahi, Mohammad Rasoulof (tous deux emprisonnés), Asghar Farhadi (libre mais surveillé), Saeed Roustaee s’affirme comme un metteur en scène exceptionnel doublé d’un conteur d’exception. Qu’il préserve sa liberté.

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