A l’automne 2019, à l’invitation de l’Opéra Bastille, Clément Cogitore, avec la complicité du chorégraphe Bintou Dembelé, conviait un groupe de danseurs urbains à dynamiter sa mise en scène des Indes Galantes, Opéra-Ballet composé en 1735 par Jean-Philippe Rameau.
Dans Goutte d’or, second long métrage du mème Cogitore, une horde de gamins marocains, agressifs et insaisissables, saccage l’appartement et bouleverse le business de Ramsès (Karim Leklou). Laconique, intraitable dans la vie courante, le bonhomme arbore une commisération rayonnante, lorsqu’il s’adresse à ses visiteurs-clients, stupéfaits par la bouffée de compassion qui, tout à coup, apaise leur chagrin.
Ramsès est un mage, parmi tant d’autres qui quadrillent le quartier de la Goutte d’or dans le Nord parisien. Par le charisme du médium et une organisation astucieuse, la petite entreprise divinatoire prospère au mépris des principes de concurrence en lice dans le périmètre. C’est alors que surgissent des lutins sans foi ni loi.. .
Que ce soit dans Braguino (2017), documentaire-découverte des Vieux-Croyants, communauté orthodoxe isolée depuis des siècles au cœur de la Taïga ou Ni le ciel ni la terre (2015), récit de guerre enchâssé dans les crevasses d’Afghanistan (le film fut tourné au Maroc), Clément Cogitore ne cesse de souligner que la force des images tient beaucoup aux personnes et aux lieux que l’on a devant sa caméra.
A l’ouverture de Goutte d'or, une tractopelle écorche le sol puis un camion-benne déverse, face caméra, son chargement de terre et de déchets. Ce vaste chantier jouxte le métro aérien sous lequel circule une foule grouillante et bigarrée. A l’instar de Neige, réalisé en 1981 par Juliet Berto et Jean-Henri Roger, le quartier Pigalle-Barbès constitue à la fois le théâtre et le personnage cardinal de Goutte d’or.
Au cœur de cet espace en voie de requalification, Clément Cogitore observe un magma de chair et de matière, où dans le froid et l’humidité, fermentent intérêts bien compris, sauvagerie sans nom et innocence désemparée.
Qui t’accompagne ? Ni homme ni femme, des ombres qui passent.
Tout comme dans Ni le ciel, ni la terre qui supposait la présence d’une entité maléfique, la composition organique s’ancre ici, à un suspense qui malaxe intrigue criminelle et rebondissements parfois inexplicables.
Frétillant dans la vie des autres mais quelque peu égaré dans sa propre histoire Ramsès possède la carrure de Karim Leklou. L’acteur rempli le cadre et jongle avec les nuances dans ce polar tellurique, entre étude sociologique et conte fantastique. Goutte d’or mérite le détour et son auteur est à ne pas perdre de vue.