Losers come-back gagnant

Actualité du 23/09/2023

Mon angoisse face à des guerres vaines et criminelles m’a enfin conduit à écrire une histoire sur ce qui pourrait offrir un avenir à l’humanité.

Aki Kaurismaki justifie ainsi son retour derrière la caméra, après six ans d’absence. Ainsi, lorsqu’elle rentre chez elle, Ansa (Alma Pöysti) allume une radio qui débite les dernières nouvelles du front russo-ukrainien. Dans la journée, la quadragénaire gère les rayons d’une supérette, subtilisant au passage quelques denrées péremptées. A quelques pas de là, dans son usine, Holappa (Jussi Vatanen) dérouille des pièces métalliques. Entre deux sablages, chaque pause est l’occasion d’une lampée prohibée.

Ansa et Holappa se croisent lors d’une soirée karaoké. Coup de foudre immédiat, en l’occurrence un échange de regards d’un peu plus d’une seconde. Un numéro de téléphone égaré, une alcoolémie excessive, une traversée imprudente.., tourneboulent la rencontre entre ces cœurs solitaires.

Découvrir Les Feuilles mortes c’est retrouver un ami perdu de vue depuis des lustres. Comme s’il nous avait quittés la veille, celui-ci reprend le cours de ses histoires, immuables antiennes, dans lesquelles des femmes et des hommes traversent amours et d’avanies, sans se départir d’une fierté laconique.

Par ce codicille à la trilogie prolétarienne, amorcée en 1986 avec Shadows in Paradise, développée ensuite avec Ariel (1988) et La Fille aux allumettes (1990), Aki Kaurismaki, livre la synthèse-manifeste d’une conscience, qui le hisse aux côtés du britannique Ken Loach et du français Robert Guédiguian, attachés, tous deux, à la dignité des gens de peu.

Pourtant, si Jussi Vatanen, compose un lointain sosie de James Stewart, héros de la Vie est belle (1946) , chef-d’œuvre idéaliste de Franck Capra, Holappa et Ansa trouvent peu de mains secourables dans leur désarroi. L’empathie solidaire pèse peu face à la crainte et le repli sur soi. Aux dernières élections la gauche finlandaise a cédé le pouvoir aux conservateurs. Cette alternance imprègne, à n’en pas douter, la romance contrariée, gorgée dune nostalgie cinéphile.

Chaplin reste le meilleur. Il a su garder sa simplicité. Kaurismaki joint le geste à la parole, jusqu’au tout dernier plan, citation-hommage à l’épilogue des Temps modernes (1936). Auparavant, les références-clins d’oeil se seront multipliées,

Les zombies étaient trop nombreux, les humains ne pouvaient pas s’en tirer. Cette réflexion d'Ansa, à la sortie de The Dead don’t die, parodie-hommage à The Night of the living dead (1968), réalisée en 2019 par Jim Jarmusch (autre filmeur débonnaire), constitue une définition à la fois savoureuse et judicieuse des films de zombies et caractérise, au passage, Les Feuilles mortes, complainte iconoclaste sur le désir d’amour, la solidarité, le respect et l’espoir en l’autre, en la nature et dans tout ce qui est vivant ou mort et qui le mérite. 

Décidemment Aki Kaurismaki réussit un retour qui sonne comme un adieu.

Photographies : Diaphana distribution.

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