Dans Maison de poupée, Nora tient sa place dans le foyer, selon les préceptes édictés par Torvald, banquier rigoureux mais époux obligeant. Le nouveau film de Sofia Coppola n’est pas sans analogie avec la pièce, publiée en 1879 par l’écrivain norvégien Henrik Ibsen (1828-1906). Priscilla permet à la réalisatrice d’inspecter une nouvelle prison dorée qui, de Virgin Suicides (1999) aux Proies (2017), sans oublier Marie-Antoinette (2006), constitue l’un des axes majeurs de son cinéma.
Le film adapte Elvis and Me, autobiographie de Priscilla Beaulieu, épouse d’Elvis Presley de 1967 à 1973 et, par ailleurs, coproductrice du projet. Celui-ci débute à la fin des années 50, à Bad Nauheim, base allemande de l’US Air force, où sont affectés l’officier Paul Beaulieu et sa famille. Lors d’une party, la jeune Priscilla, 14 ans (Cailee Spaney), croise le Private Elvis Aaron Presley (Jacob Elordi).
Tout au long de ses obligations militaires, le rocker, de dix ans son aînée, lui consacre une cour assidue et de bonne conduite. Tant et si bien qu’en 1962, son père accepte qu’elle honore l’invitation d’Elvis, à la rejoindre dans sa propriété de Graceland (Tennessee). Quelques jours après, la très jeune femme passe un portail, aux barreaux de pénitencier, qu’elle ne franchira que très rarement lors des années suivantes.
Au même titre que la Nora d’Ibsen, Priscilla comble une case, s’acquitte d’une fonction : compagne officielle d’Elvis Presley. L’on remarquera que les respectueuses assiduités du bonhomme, n’ont d’égales que son manque d’empressement. A ce ce titre, le traitement du King, n’est pas sans analogies avec celui du Napoléon, façon Ridley Scott, qui montre un empereur plus à son affaire parmi ses grognards qu’avec sa Joséphine, qu’il grimpe à la hussarde.
Ainsi, toujours à la fête avec ses potes et musiciens, Elvis initie Priscilla aux drogues, via des somnifères qui calment ses ardeurs. Et lorsque elle rue dans les brancards et menace de quitter son étagère, l’idole, chaperonné par le Colonel Parker, démiurge à la fois invisible et omnipotent, consent à l’épouser, après huit années de fiançailles sous haute surveillance.
Au moelleux des moquettes, à la profondeur des sofas, s’accorde la griffe ouatée de Sofia Coppola. La réalisatrice s’ancre au point de vue de cette poupée qui, de sa vitrine capiteuse, observe, plus qu’elle ne partage, l’intimité d’un roi en sa tribu. Moins qu’un corps, Elvis devient une silhouette, à la merci d’un mentor qui modèle sa vie au nom de sa carrière.
Dans l’esprit de l’époque, Priscilla décentre la légende d’Elvis Presley. A la biographie épique et scintillante d’Elvis, filmée en 2021 par Baz Luhrmann, rétorquent les clairs-obscurs névrotiques qui teintent les souvenirs de sa seule et unique épouse.
Bien que le contexte s’y prête, Sofia Coppola tempère sa dilection pour les mignardises et troque son agréable nonchalance contre une compassion attentive, en rupture avec le glamour tapageur des sagas officielles. Tout au long de son Priscilla, le sexe reste aux abonnés absents, l’on absorbe quelques drogues (et pas mal de couleuvres) et l’on n’entend pas du Rock’n roll.
Décidément les temps sont durs pour les idoles.