Salutaire Fantasy

Actualité du 01/12/2023

Conan le Barbare demeure indissociable du film interprété par l’acteur-culturiste Arnold Schwarzenegger. Réalisée en 1982 par John Milius, la production s’inspire des romans de Robert Ervin Howard (1906-1936), eux-mêmes adaptés en bande dessinée, à partir des années 70, par Marvel Editions.

Le film de Bertrand Mandico remonte plus avant dans la genèse du personnage. Conann (avec deux n) désigne un héros de la mythologie celte. Au gré de ses gestes, le guerrier croise des Formoires, créatures à la tête de chien. Ces demi-dieux se réincarnent chez Rainer, cerbère cynocéphale et cynique, qui conduit et commente l’épopée bidouillée par le filmeur-plasticien.

Aux cœur des enfers, la Reine des barbares revisite ses différentes vies, affectées par la vengeance inassouvie du meurtre de sa mère. A l’instar des Garçons sauvages-2017 puis After Blue (Paradis sale)-2021, ce troisième long-métrage adopte une forme picaresque qui, cette fois, enjambe les espaces et le temps. De la nuit des âges aux frontières de notre époque, l’errance de Conann déploie un portrait-kaléidoscope où se succèdent plusieurs déclinaisons du personnage : La Reine, la Violente, La Guerrière, La Cruelle.. .

Fidèle à ses partis-pris, Mandico mobilise une distribution féminine dans une écrasante majorité. Il brouille les genres et les identités en une suite de tableaux fantasmagoriques, échafaudés à l’intérieur d’une ancienne usine sidérurgique et filmés sur pellicule 35 millimètres, garantie sans effets numériques. La narration morcelée alimente une succession de sketches, doublée d’une plongée dans les inépuisables références du démiurge cinéphile.

S’il divertit les paradigmes identitaires, Mandico amalgame les genres du cinéma. Les Garçons travaille le récit d’aventure, After Blue le western. Scandé par les sentences oraculaires de Rainer (comme Fassbinder 1945-1982)), Conann, par son découpage feuilletonnesque, rebondit de l’heroic fantasy à la métaphore organique ciselée par un David Cronenberg ou un Peter Greenaway, en passant par le merveilleux minéral (les Orphées filmés par Jean Cocteau), la chronique transgressive (Portier de nuit) ou l’anticipation futuriste (les sagas Mad Max ou New York 1997).

Plus resserré que Les Garçons sauvages, moins sentencieux qu’After Blue, Conann déroule un périple opératique à travers une mémoire du 7ème Art, façonnée par une cohorte d’excentriques : poètes désinvoltes, inventeurs baroques, visionnaires méthodiques, formalistes écorchés.. . Le film se clôt sur un festin, démentiel hommage au Cuisinier, le voleur, sa femme et son amant (1989) dans lequel le britannique Peter Greenaway assène un réquisitoire souverain à l’encontre de l’humain qui se repaie sur l’homme.

Mosaïque mémorielle, encyclopédie fastueuse, Conann se double d’un éloge sans partage d’une pensée surréaliste, iconoclaste et subversive, dont Bertrand Mandico préserve l’héritage, ferme à la barre, au milieu des meutes, des Torquemadas multicartes et leurs diktats politiquement corrects.

Conann est une œuvre savante, malicieuse, somptueuse et nécessaire.

 

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