Marina sous influence

Actualité du 03/03/2022

Clope au bec, pied au plancher, Béatrice (Marina Foïs) n’a pas le temps. De toute façon, passée la quarantaine, on n’a plus le temps. Ainsi expédie-t-elle les funérailles et le deuil d'un époux, policier trop tôt (ou enfin) arraché aux siens par une cirrhose.

Béatrice travaille dans l’unité gériatrie de l’hôpital de Calais. Efficace, attentionnée, l’aide soignante veille sur des patients qui ont cotisé, pas comme ces ombres égarées autour du bâtiment, qu’elle stigmatise moins par conviction que par instinct grégaire. Un accident léger la conduit, toutefois jusqu’à la Jungle, un ghetto peuplé de corps plus bigarrés, plus jeunes, mais eux aussi en manque de soins et d’attention.

Béatrice appréhende un autre monde mais lorsqu’elle croise le regard de Mokhtar (Sear Kohi), lui pousse des envies de renverser la table. Elle prend ses distances avec les proches de son défunt, une « grande famille » à la prévenance coercitive. Elle remet en place une mère intrusive. Elle bouscule puis apaise son fils déboussolé par les séismes domestiques. A l’image du cercueil paternel qui s’insère aux forceps dans le caveau familial, Béatrice se cogne un peu partout, s’emballe, se trompe, se relève. A son tour montrée du doigt, elle reste verticale, disponible au plaisir, si jamais, voire au bonheur, si affinités.

il y a du Mabel chez Béatrice, l’aura de Gena Rowland, Une femme sous influence, imprègne Marina Foïs. Ils sont vivants assume cette référence pour le moins écrasante. Car les analogies sont légion avec le classique de John Cassavetes (1974). Jerémie Elkaïm s’accroche à Marina-Béatrice dans une urgence attentive. L’acteur devenu réalisateur (comme Cassavetes) saisit le bouillonnement d’un regard, la fougueuse plénitude d'un ébat ou l’infinie délicatesse dissimulée dans certaines options d’un téléphone portable. Ici aussi, le portrait d’une mère ordinaire, minée par l’incompréhension et la condescendance, débouche sur la peinture d’une classe populaire négligée, pressurée jusqu’à se recroqueviller sur des valeurs souvent mortifères.

infatigable, transfigurée, Marina Foïs porte à bout de bras le film qu’elle a elle même initié. Adapté de Calais mon amour, récit autobiographique de Béatrice Huret, Ils sont vivants considère la complexité des mouvements de population par le prisme d’une idylle, au fil de laquelle le politique et l’intime s’imbriquent à tout jamais. Même si le cinéma n’est pas la vie, Ils sont vivants y ressemble furieusement.

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