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Actualité du 19/10/2022

Une soirée d’automne, Mia (Virgine Efira) rejoint son compagnon (Grégoire Colin) dans un restaurant parisien. Un coup de fil : Max doit rejoindre d’urgence son service hospitalier. Mia rentrera seule en moto. Sous l'orage elle s’abrite dans une autre brasserie. Un stylo qui bave, un passage aux toilettes. Puis la terreur, l’horreur. Le trou noir.

Dans le prolongement de la jeune femme hystérique (Augustine 2012), du militaire reconverti garde du corps (Maryland 2015) ou de la spationaute au seuil d’une première mission (Proxima 2019), Mia la rescapée prolonge l’exploration des esprits sous tension qui nourrit le cinéma d’Alice Winocour.

Reconstruire, Mia s’attelle à reconstituer la soirée dont la chronologie fut dispersée par la froide brutalité de l’attentat. Dans cette quête d’indice, l’enfer est dans les détails : et si Max était resté dîner ? Mais était-ce vraiment un appel de l’hôpital ? Au gré de son introspection factuelle, Mia revisite sa vie, de même qu’elle découvre l’existence d’une association et de sites dédiés aux victimes et leurs proches.

Engoncée dans son jean et son blouson, Mia promène sa silhouette androgyne et son visage interdit entre les certitudes agressives des uns, l’affliction aphasique des autres. Le puzzle mémoriel lui révèle un poignet tatoué, une étreinte réconfortante qui la conduisent au delà du périphérique, là où se terrent les paramètres d’ajustement des patrons de restaurants. L’exploration intérieure déclenche une enquête de détective qui extirpe Mia de son cocon domestique et de ses cabines de traduction (elle est interprète franco-russe).

De la sidération à l’éventuelle résilience, Revoir Paris trace un trajet initiatique qui s’ancre dans l’intime, s’élargit au collectif et atteint le politique. Personnellement affectée (le 13 novembre 2015 son frère fut parmi les otages du Bataclan), Alice Winocour élabore une géographie post traumatique dans laquelle chacun négocie de petits arrangements avec la perte, la douleur, l’incompréhension.

Revoir Paris est traversé de lumières rutilantes, d’éclairages cliniques ou de poussières de terrain vague. Les corps sont apaisés, prostrés, désarticulés, souvent en pilotage automatique. Passée la barbarie fulgurante, Alice Winocour s’attache aux regards, décrypte les attitudes, s’attarde sur l’inertie, constate les décisions. Elle suit des pèlerinages nécessaires et capte des gestes inestimables parfois à peine esquissés. Son regard puise sa force dans le cinéma.

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