Peu compatible avec les mesures et les frilosités sanitaires, La Nuit fantastique d'Utopia cède la place, le samedi 11 décembre, à une soirée double-bill digne des cinés d’outre Manche. Un demi siècle sépare Docteur Jekyll and Sister Hyde (1971) et Last night in Soho (2021). Quelques point communs relient néanmoins les deux titres, à commencer par Londres, la cité victorienne où évolue Jekyll; le Swinging London et la capitale désormais gentrifiée entre lesquelles se partage Last Night...
Accessoire obligé dans les deux histoires axée sur le thèmes du double, le miroir constitue le second trait d’union. Roy Ward Baker utilise le verre et ses reflets lors du climax final et durant la transformation Jekyll-Hyde toujours très attendue dans les adaptations du roman de R.L. Stevenson. « J’ai redécouvert Dr Jekyll and Sister Hyde, le film de R.W. Baker contient un excellent effet de miroir et ce, juste en inclinant la glace de quelques degrés... » Edgar Wright s’exprime en expert. Son Last night in Soho multiplie les reflets et transparences qui relient Éloïse (Thomasin Mckenzie), étudiante styliste d’aujourd’hui à Sandy (Anya Taylor-Joy) qui rêve de succès dans le show business des années 60.
Chacun à leur manière, les projets malaxent les mythes et légendes de la culture anglo-saxonne. La littérature du XIX éme siècle est bien entendu au cœur de Docteur Jekyll and Sister Hyde qui découle d'un étonnant cocktail concocté par Brian Clemens. Sollicité pour relancer l’inspiration et les affaires d’une Hammer Film en déclin, le scénariste-producteur de la série Chapeau melon et bottes de cuir combine la trame de Stevenson avec une once de Frankenstein (la potion du médecin nécessite un organe humain). Il transfère Burke and Hare, ès Body snatchers (récupérateurs de cadavres), des cimetières d’Edimbourg aux ruelles de Whitechapel, terre d’élection de Jack l’éventreur, lui aussi convoqué pour l’occasion.
Aussi délirante soit-elle, la mixture affiche une solide cohérence et sert de base à une production entièrement tournée en studio qui met une dernière fois en évidence le raffinement esthétique propre à la Hammer Touch. Cerises sur les scones, de savoureux dialogues à double sens servis par Ralph Bates (Jekyll) et Martine Beswick (Hyde) tout en mimétisme et intelligence.
Edgar Wright lui, bénéficie des moyens plus conséquents pour sa mise en abîme de la pop culture britannique qui imprime à tout jamais la fin du siècle dernier. Si l’ouverture laisse augurer un feel good movie adossé à une success story, Last night in Soho bifurque bientôt vers des zones plus sombres. Les visions sexophobiques de l’héroïne rappellent Répulsion (1965) par ailleurs cité dans une séquence saisissante. Mais l’épure chirurgicale de Roman Polanski cède la place à des ombres menaçantes tapies entre les rayonnages d’une bibliothèque high tech. D’entre ces fantômes se détache la silhouette voûtée de Terence Stamp dont la gueule d’ange fut découverte par Ken Loach, dans Poor Cow, son premier film (1967). L’on reconnaît encore Diana Rigg (1938-2020), choisie par... Brian Clemens pour devenir Madame Peel dans Chapeau melon.. Dans son ultime apparition Mrs Rigg campe une logeuse qui ne s’en laisse pas conter.
Efficacité minutieuse chez le premier, virtuosité prodigieuse pour le second, Docteur Jekyll ans Siter Hyde, Last Night in Soho brillent des mille reflets propres aux joyaux typically bristish, à la fois savants, extravagants. Et d'une profonde élégance.