Modus vivendi

Actualité du 19/12/2025

 

La Condition est un film dont le titre peut s’appréhender sous de multiples acceptions. Il désigne, avant tout, le pacte imposé par Victoire (Louise Chevillotte) à André, son époux (Swan Arlaud). Il corrobore encore les servitudes individuelles : le devoir conjugal pour Victoire, la charge de descendance et de soin assignée à André, le droit de cuissage chez Céleste, la plus jeune des domestiques. La Condition en réfère enfin à l’image de bonheur et de prospérité que le couple se doit de renvoyer à la bonne société locale.

Or, ça grippe, ça grince, ça coince dans les rouages des droits et des devoirs. L’épouse refuse de partager sa couche. Le mari éconduit se soulage sur sa servante, qui cache sa grossesse au-delà des délais dédiés aux faiseuses d’ange.

Passion fulgurante (Le temps de l’aventure 2013), désarroi de la rupture (Chère Léa 2021).., aux côtés d’Emmanuel Mouret (Les choses qu’on dit les choses qu’on fait 2020, Trois amies 2024…), Jérôme Bonnell demeure l’un de nos plus fins géographes des sentiments.

Chroniquer l’étouffement de l’intime sous la pesanteur des conventions. Adapté de Amours, roman publié en 2015 par Léonore de Récondo, La Condition entrecroise Gustave Flaubert (1821-1880), portraitiste intraitable de la bourgeoisie provinciale et Ingmar Bergman (1918-2007), explorateur inlassable des arcanes intérieures .

 

Quelque part en France à l’aube du XXème siècle, une demeure où André se partage entre son foyer et son étude notariale. Sous le regard narquois d’une mère grabataire (Emmanuelle Devos) qui ne parle plus mais n’est dupe de rien, le maître des lieux domine son gynécée dans une autorité indécise. Comme souvent chez Bonnell, les femmes mènent la danse et les hommes tentent de garder le pas.

La maison comme un dédale d’alcôves, d’escaliers et de corridors éclairés par des lampes et chandelles. Cadrages serrés sur les visages dans des halos de lumières façon Georges de La Tour (1593-1652).

Oppressant, pictural, le huis clos réveille le souvenir du maître suédois, auteur de Cris et chuchotements (1972), plongée radicale et incandescente dans la psyché féminine ; ou, bien sûr, Fanny et Alexandre (1982), magistrale anatomie des rapports familiaux (autre thème cher à Jérôme Bonnell).

L’interprétation est impeccable, avec une mention spéciale pour Emmanuelle Devos en marâtre empêchée et néanmoins déchaînée à l'égard de son fils, Swan Arlaud, patriarche volontiers en panique. Soin apporté au cadre et la lumière, précision de l’écriture, vigilance dans la représentation des abus ou inclinations ; l’inventaire des coercitions s’effectue dans une retenu de tous les instants.

Reconnaissons toutefois, qu'à l'instar des liens qui bâillonnent les caractères, l'assaut de soucis et de précautions enserre cet arrangement domestique dont le machiavélisme se fige parfois dans un excès d’application.

Photographies : Diaphana Distribution.

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