Mourir à Venise Renaître à Florence

Actualité du 16/09/2021

En attendant la nuit, en l’occurrence la Nuit Fantastique d’Utopia, programmée (lorsque tout va bien) chaque année à l’orée des vacances de Noël. En attendant la nuit désigne désormais une soirée consacrée, dans chaque Gazette, au cinéma fantastique dans sa plus large acception.

Le deuil, les faux semblants, le sensoriel, l'Italie, le maniérisme des seventies…, figurent parmi les liens qui unissent Ne vous retournez pas (1974) et Obsession réalisé trois plus tard.

Abandonnez vos préjugés à l’entrée. C’est par ce conseil (ce mot d’ordre?) que Nicolas Roeg définissait son cinéma. Tout au long des années 60, ce chef opérateur londonien se construit une réputation par ses mises en lumière du Masque de la Mort rouge (Roger Corman 1964) Fahrenheit 451 (François Truffaut 1966), Loin de la foule déchaînée (John Schlesinger 1967).

En 1970, Roeg réalise Performance, cosigné avec le peintre Donald Cammel et interprété par Mick Jagger. Ne vous retournez pas (1973) est son troisième opus, adapté d’une nouvelle de Daphné du Maurier.

Suite au décès de Christine, leur petite fille, Laura et John Baxter (Julie Christie-Donald Sutherland) quittent l’Angleterre pour Venise. Architecte, John colmate son chagrin dans la restauration d’une église. Laura comble son ennui en compagnie de deux ladies, dont Heather aveugle et voyante. Celle ci la met en contact avec Christine.

Un truand réfugié dans la demeure d’une rock star (Performance), deux enfants livrés à eux même au cœur du bush australien (Walkabout 1971), Ne vous retournez pas égare à nouveau des êtres désemparés dans un univers qui les dépasse.

Détrempée par une bruine hivernale, Venise, ses ruelles, ses bâtisses, figurent un labyrinthe mental délabré et dangereux (un tueur rode dans la cité). Narration morcelée, jeux de miroirs, fragmentation visuelle..., Roeg donne à ressentir, plus qu’il analyse le désarroi qui ronge le couple. Escarpé et étrange, peuplé de médiums, de fantômes et d’ambiguïtés, Don’t look now, affecte autant qu’il déroute.

Par ailleurs, au delà son duo d’acteurs, sa mécanique narrative, ses procédés visuels, Ne nous retournez pas puise sa réputation dans un ébat au cours duquel le désir, se mêle à l’attention, la tendresse, la complicité : l’une des plus belles scènes d’amour jamais filmée. Preuve que Nicolas Roeg (1928-2018) était bel et bien un maître du sensoriel et du sensuel.

J’ai lu que Alfred Hitchcock avait vu Obsession et qu’il n’avait pas beaucoup aimé. Il trouvait ça trop proche de Vertigo. L’idée est la même c’est sur, mais pour être franc, je trouve mon histoire meilleure. Brian de Palma définit ainsi sa seconde variation, suite à Sœurs de sang (1973), autour de l’œuvre Hitchcockienne.

Nouvelle Orléans, fin des années 50, Michael Cortland perd son épouse Elisabeth et Amy sa petite fille lors un rapt qui tourne mal. 15 ans plus tard en voyage d’affaire à Florence, le promoteur croise Sandra Portinari, restauratrice d’art. Sandra ressemble trait pour trait à Elizabeth.

Le projet naît d’une fascination partagée par Brian De Palma et Paul Shraeder (scénariste de Taxi driver) à l’égard de Vertigo-Sueurs froides, réalisé par Hitchcock en 1958. Effectivement très proche de la trame originelle, le scénario combine les « obsessions » personnelles des auteurs : le pêché, la transgression pour Schraeder, le double, le voyeurisme, l’image cachée pour De Palma. A ceci viennent s’ajouter des clins d’œils-références au Maître du suspense : le portait fascinant de Rebecca (1940), la clé de tous les mystères des Enchaînés (1946).

Mais avant tout ce thriller sous influence se métamorphose en film opératique grâce à la musique de Bernard Herrmann. Collaborateur d’Alfred Hitchcock sur 8 films dont La mort aux trousses, Psychose et… Vertigo, le compositeur, émule de Stravinsky et grand écorché, s’avère bouleversé par le film et livre dans la foulée une partition pour chœurs, grand orgue et orchestre symphonique. A l’écran les masses musicales épousent les mouvements d’appareil pour se fondre dans le lyrisme des images sans jamais les surligner ni les écraser.

Architecte de formation épris de l’Italie qu’il sillonna en Vespa lorsqu’il était étudiant, De Palma situe une partie de l’action à Florence. Par la volonté du réalisateur et son chef opérateur (Vilmos Zsigmond), la cité florentine est, à l’instar du Venise de Nicolas Roeg, fixée dans une lumière hivernale, captée à l’aube ou la tombée du jour.

Pour Michael Courtland, De Palma voulait Richard Burton, le budget lui octroya Cliff Robertson aux émois il est vrai bien monolithiques. Pour Elisabeth-Sandra, il désirait Geneviève Bujold. Par sa fine silhouette et son visage à la fois adulte et enfantin, l’actrice irradie de beauté, de mystère et de fragilité ce sommet du romantisme lyrique et cinématographique.

En attendant la nuit, mardi 28 septembre cinéma Utopia-Manutention, Avignon.

Ne vous retournez pas 19H, Obsession 21H30.

9 euros, la soirée. Les deux films peuvent être vus séparément.

Bibliographie: The encyclopedia of british film, Brian McFarlane.

La saison cinématographique 1975, article de Jean-Marie Sabatier.

Brian De Palma, entretien avec Samuel Blumenfeld et Laurent Vachaud (Calmannn-Levy).

 

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