De nos jours, quelque part en Chine, autour d’un repas, les convives négocient l’avenir de deux incasables. Ma Youtie (Wu Renlin), le fils cadet, plus proche de son âne que de ses semblables, convolera avec Cao Guiying (Ha Quin), incontinente et déformée par des années de maltraitances.
Ça fait plaisir et ça débarrasse.
Une fois le marché conclu, les dots encaissées, le couple (et le baudet) s’installe dans une maison abandonnée et commence à préparer le sol. Quelques temps plus tard, ils en seront expulsés par le propriétaire, de retour de la ville pour empocher la prime de démolition.
Qu’à cela ne tienne, Telles les hirondelles qui réintègrent toujours leur nid, Ma et Cao entreprennent de couler les briques de leur future habitation.
Dans le sillage de ses cinq longs métrages précédents, Li Ruijun a tourné Le Retour des hirondelles, au fil des saisons, dans le district Gaotai, sa province natale. Rythmée par des journées harassantes, sur une terre rétive, la chronique devient géorgique, au fur et à mesure que les sentiments s’épanouissent entre les époux. Il ne s’agit pas d’une romance acidulée mais d’une fusion, trempée de sueur, engourdie par le froid, agacée par l’eczéma du maïs, irritation qui débouche sur un geste d’amour, d’une admirable délicatesse.
Je t’ai vu caresser l’âne, il était plus heureux que moi. Je me suis dit que tu étais bon. Et bon pour moi, confesse Cao à cet homme mutique, infatigable, capable d’une infinie sollicitude. Ensemble, la tête haute et les pieds tanqués, ils se bâtissent un foyer, se forgent un idéal, à l’écart de tous.
Car lorsqu’on ne le chasse pas, l’on sonne à la porte de Ma Youtie, pour ponctionner le sang nécessaire à la survie de l’administrateur de la coopérative ou pour lui céder quelques restes d’une fête de mariage à laquelle il ne fut pas invité. Qu’importe, il obéit, il prend mais ne sollicite rien et, jusqu’au bout, règle ses dettes au yuan près.
Au même titre que Still Life, réalisé en 2006 par Jia Zhangke, Le Retour des hirondelles examine les mutations de la Chine populaire, concomitante à la disparition de la ruralité. Dix sept années séparent les deux titres. L’observation contemplative, empreinte de fatalisme, cède la place aux primes, gratifications, marchandages de toutes sortes. Le régime ne s’y pas trompé. Malgré quelques coupes et suite à l'intérêt du public, l'œuvre lyrique mais politiquement peu idyllique, est désormais bannie des salles.
Pourtant Le Retour des hirondelles n’a rien d’un pamphlet, Li Ruijun signe une élégie qui puise sa majesté dans la rigueur des éléments, l’âpreté des paysages et, par dessus tout, l’attachement à la terre, allié au désir de vie qui animent ce couple éjecté, méprisé et resplendissant.
Il y a décidément de grandes histoires cachées dans Le Pays des cendres et de la fumée (titre original de ce beau film, hermétique au pathos, étranger à l’esthétisme et d’une splendide dignité).