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Actualité du 13/01/2024

Un silence débute sur un long plan séquence à l’intérieur d’une berline. Dans le ronron du moteur et le métronome des clignotants, le visage d’Astrid (Emmanuelle Devos) se crispe et s’embue, à l’approche du terminus et ses désagréments annoncés.

Il faut dire que, d’un lycée à un commissariat, d’un hôtel au palais de justice, l’on circule beaucoup dans le nouveau jeu de piste tracé par Joachim Lafosse. De Nue Propriété (2006) aux Intranquilles (2021), le cinéaste flamand ne cesse d’explorer les abîmes et zones d’ombre, propres aux familles dysfonctionnelles.

Astrid est l’épouse de François (Daniel Auteuil), ténor du barreau, en charge de crimes pédophiles hautement médiatisés. Toujours harassé, souvent laconique, l’avocat manipule avec malice, la meute de micros et de caméras qui stationne nuit et jour devant son portail.

Le couple vit avec son fils Raphaël (Mathieu Galoux), reclus dans une résidence assiégée que, on le découvre, des proches décident d’éviter. A l’intérieur, chacun stationne dans son pré carré, on ne se parle guère et on dort peu. L’on va et vient dans la demeure, repaire opaque où macèrent de toxiques concoctions.

Entre compte-rendu et état des lieux, les films de Joachim Lafosse élaborent des dispositifs où règnent les acteurs. Daniel Auteuil campe un patriarche englué dans ses postures. Emmanuelle Devos figure une maîtresse femme, toute aussi engoncée entre les digues et les arrangements, qu’elle a patiemment échafaudés. Mais les barrages se fissurent, les pactes se délitent et Astrid peine à canaliser les déperditions.

Fidèle à ses inclinations entomologiques, l’auteur dissèque les troubles, décèle l’indicible, relate les réactions, sans s’écarter de la bonne distance, même si, cette fois, la bande musicale surligne et abrase les tensions.

En écho à l’ouverture, Un silence se conclut sur le visage d’Astrid. La mine est grave mais le regard plus assouvi. Comme si la parole allait enfin circuler ? Comme si de nouveaux barrages restent à édifier ? Loin de la déprécier, l'ambiguïté étoffe l'œuvre d'un orfèvre de l'inconfort, qui travaille les mêmes thématiques dans une approche sans cesse renouvelée. 

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