Nostalgique et fataliste

Actualité du 05/08/2022

Déconcertant Woody Allen, Tout au long de Soit dit en passant, autobiographie publiée en 2020, l’auteur expédie chacun des ses films, mésestime pour le compte son corpus cinématographique, au profit de ses mésaventures de gagman-humoriste puis des relations avec ses muses : Louise Lasser, Diane Keaton et Mia Farrow, avec laquelle il entretint des rapports proprement scandinaves, entre Henrik Ibsen et Ingmar Bergman.

Nul doute que Mort Rifkin (Wallace Shawn), figure centrale de Rifkin’s Festival, soit l’alter ego du cinéaste. Romancier empêché, reconverti en critique-historien du cinéma, Rikfin accompagne Sue, son épouse (Gina Gershon) au Festival de San Sebastiàn. Sur place l’influente attachée de presse supervise la première mondiale d’Apocalyptics Dreams, nouvel opus de Philippe, le filmeur du moment (Louis Garrel).

Les égards énamourés de Sue pour l’autosuffisance du réalisateur qui signe un pamphlet contre la guerre avant de s’attaquer, en toute modestie, à un projet qui réconciliera arabes et israéliens, exacerbent les ressentiments de Rifkin. Le cinéphile transi se réfugie dans des rêves monochromes au fil desquels Orson Welles, Federico Fellini, Jean-Luc Godard, Ingmar Bergman, François Truffaut, Luis Bunuel cautérisent son amertume.

Hypocondriaque comme il se doit, Rifkin consulte un certain Docteur Jo qui s’avère être une séduisante quadragénaire (Elena Anaya). En compagnie de la praticienne, elle aussi en délicatesse avec son conjoint, Rifkin visite la ville et ses calanques. Le film verse alors vers le dépliant touristique, mis en couleur par Vittorio Storaro (collaborateur historique de Bernardo Bertolucci et Francis Ford Coppola). Quant’aux éventuels reproches à ce sujet, l’on rétorquera (même si cela n’excuse rien), que le dernier film de Pedro Almodovar (Etreintes brisées 2021) feuillette un luxueux catalogue Art et Décoration.

A l’instar de son héros, spectateur de l’éloignement de sa légitime et de l’effondrement son couple, Allen laisse libre cours à une nostalgie contemplative qui célèbre pêle-mêle son affection pour la ville de San Sebastiàn, son admiration pour les maîtres cinéastes hermétiques à l'académisme, son aversion pour les œuvres de festivals, alibis d'une industrie du spectacle qui étouffe à jamais le Septième Art. Schématique par essence, la diatribe se pare ici d’une colère désenchantée face aux générations nouvelles, aux évolutions des mœurs et des habitudes, indissociables de l’écoulement du temps et son inexorable échéance .

Effets de la pandémie, conséquences des démêlés de Woody Allen avec les tribunaux en ligne ? Toujours est-il que le dernier opus de l’un de nos grands cinéastes encore en activité, est l’objet d’une sortie estivale en catimini (pas plus de trois séances hebdomadaires à Avignon).

Un ou deux films par an depuis plus d’un demi siècle, l’œuvre cinématographique de Woody Allen peut se lire comme un journal intime constellé de farces et de sourires, d’éblouissements et de déceptions, de rêveries nimbées d’une indéfectible mélancolie. Centré sur un prénommé Mort, qui partage son patronyme avec un célèbre tueur en série new yorkais, Rifkin’s Festival décrète que la vieillesse supplante désormais les illusions. Pour ne pas nous abandonner dans cet état, Woody Allen nous doit une revanche. Et un nouveau film.

A lire aricle et interview de Woody Allen dans la revue Positif N°737-738.

 

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