Fiction en voix off (Seul contre tous 1998), narration à rebours (Irréversible 2002), caméra subjective (Enter the Void 2010).., Gaspard Noé apprécie les contraintes des dispositifs, au risque fréquent que ceux-ci prennent le pas sur le propos qu’ils sont censées développer.
Vortex, son nouvel opus, satisfait à la triple spécificité du plan séquence, de l’écran partagé et de (la quasi) unité de lieu, mise au service de l’observation méthodique d’une déréliction.
Au centre du film : un couple. Elle (Françoise Lebrun), exerça comme psychiatre clinicienne, lui (Dario Argento), écrit des histoires ou des théories inspirées par ses rêves et ses cauchemars. Ils ont connu des hauts, surmonté des bas, ils ne sont plus jeunes mais toujours ensemble. Ils vont et viennent, de pièces en pièces, le long des couloirs de leur tanière, aux murs, au parquet recouverts de livres, de documents, d’objets comme il s’en accumule tout au long d’une existence. Elle perd la mémoire, il est ralenti. Parfois le fils (Alex Lutz) leur rend visite, pour prendre des nouvelles, pour évaluer l’extension de la catastrophe.
Elle et lui quittent rarement l’écran, chacun dans son cadre, séparés par une fine bande noire. Cette ligne de démarcation segmente, décale l’appréhension de cette femme et cet homme, qui évoluent côte à côte, mais s’avèrent de plus en plus lointains.
Même si vers la fin, il renoue avec sa misanthropie nihiliste et surplombante, Gaspard Noé surprend par l’empathie qu’il manifeste à l’égard des personnages. Le réalisateur éprouve une vraie tendresse pour ce couple en détresse, autant qu’il rend hommage à ses deux interprètes. Actrice-réalisatrice, Françoise Lebrun accéda à la légende grâce à Véronika, la Fille des Deux magots, imaginée par Jean Eustache dans son film La Maman et la Putain (1973). Les Frissons de l’angoisse (1975), Suspiria (1977), Inferno (1980).., Dario Argento est un maître-créateur de formes, dont Gaspard Noé demeure un disciple turbulent. Improbable, inouïe, l’acte de reconnaissance fonctionne car Françoise et Dario bougent, improvisent en parfaite symbiose.
Elle se dissout, il s’accroche mais sous eux, le vortex ouvre un gouffre inexorable. A l’épilogue chacun réintégrera sa case, à priori pour toujours. Mais leur intérieur, leurs trésors, leur histoire seront déménagés, disséminés à tout jamais. Comme le susurre Françoise Hardy : On est bien peu de chose.
24 ans après Seul contre tous (qu’il serait bon d’exhumer en ces périodes de scrutins incertains), Vortex s’impose comme l’accomplissement d’un éternel sale gosse désormais à l’aube de la soixantaine. De séquence en séquence, Dario Argento, es-orfèvre de l’effroi, chancelle et s'épouvante, la curiosité est cocasse et touchante, au fil de cet effacement entre le compte-rendu clinique et le faire-part attendri.
Vortex est un film audacieux, magistral, bouleversant.