P’tit Quinquin from outer space

Actualité du 27/02/2024

Il existe quelques similitudes entre Quentin Dupieux (Daaaaali, actuellement sur les écrans) et Bruno Dumont. Assurés de la participation d’interprètes vedettes en quête d’excentricité, l’un et l’autre tournent ce qu’ils veulent, comme ils le veulent.

Ainsi, après la série policière (P’tit Quinquin 2014), le burlesque cannibale (Ma Loute 2016), le drame historique (Jeanne 2019), le pamphlet satirique (France 2021), Bruno Dumont se frotte au space opera, sans pour autant s’éloigner des côtes du Boulonnais.

Pêcheur en Mer du Nord, Jony (Brandon Vlieghe) découvre que son tout jeune fils n’est autre que le Margat, l’enfant des Ténèbres. Jane (Anamouria Vartolomei) entreprend de récupérer le chérubin. Mais sur place, elle tombe sous le charme du paternel, lui même subjugué par cette amazone intersidérale et son bikini noir piqué à Lara Croft. Afin de recentrer l’émissaire et entraver les manigances de Belzébuth, son pire ennemi (Fabrice Luchini), La Reine du Bien (Camille Cottin), débarque à son tour et emprunte l’apparence de la maire du village.

L’Empire puise son étrangeté loufoque dans le décalage entre la fantaisie néo-réaliste héritée de Pier Paolo Pasolini (Uccelacci e uccellini 1966), l’humeur paranoïaque de L’Invasion des profanateurs de sépultures (Don Siegel 1956) et le barnum tonitruant des blockbusters hollywoodiens.

Pourtant, quelle que soit la concoction anachronique, Bruno Dumont creuse, infatigable, ses sillons métaphysiques : épiphanie de l’immanence (le film s’ouvre sur le plan d’un ciel inondé de lumière), conflit entre le Bien et le Mal, glorification de l’amour rédempteur.

Comme toujours, les questionnements eschatologiques instillent la direction artistique. Le paysagiste fasciné par l’âpreté majestueuse de la Côte d’Opale, se double ici, d’un technicien affranchi aux machines numériques, dans le rendu des effets grand-guignolesques ou l’ampleur des percées inter-sidérales. L’esthétique stoïcienne resplendit lors de ces séquence from outer space, qui opposent des astronefs-cathédrales pilotés par les Gentils aux chasseurs platement furtifs conduits par les Méchants.

Une fois encore Bruno Dumont édifie un spectacle où s’harmonisent l’accomplissement plastique, l’ébullition de l’imaginaire, la profondeur de la pensée. Pourtant l’absence de rebondissements susceptibles de briser une intrigue bien linéaire, le recours aux clins d’œil réservés aux initiés : le retour des limiers de P’tit Quinquin, le fait que l’on apprenne dans ses seules interviews, que L’Empire s'inscrit en amont de La Vie de Jésus, son premier opus (1997), voilent de désinvolture la stature d’un cinéaste, quelque peu ankylosé dans sa zone de confort.

Certes, de la subtilité d’une composition à l’épure d’un visage, l’imagerie reste splendide. Mais, à l’image des grimaces d’un Fabrice Luchini, loin d’André Van Pethegen, veule et inénarrable protagoniste de Ma Loute, inoubliable sarabande de subtiles dingueries, Bruno Dumont semble arrivé au bout d’un genre parodique, qu’il a largement exploré. dans ses récentes productions.

Reste à espérer que ce formaliste-moraliste poursuive ses interpellations autour de l’humain et du sacré, dans des registres inédits qu’il saura bousculer et renouveler.

Précisons enfin que les moules n’ont pas de cerveau, au contraire des coquilles Saint-Jacques. A défaut de s’enthousiasmer, l’on aura tout de même appris quelque chose.

Photographies : Tessalit

 

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