Parfums d’automne

Actualité du 13/11/2022

C’est ce qu’on appelle de la constance ou l’émanation exemplaire de la politique des auteurs. De Little Odessa, son premier opus réalisé en 1994, à Armageddon Time actuellement sur les écrans, James Gray ne cesse d’anatomiser le noyau familial en général et les rapports père-fils en particulier.

Jusqu’à présent les thématiques furent examinées à travers des genres spécifiques : la science fiction (Ad Astra 2019), l’aventure (Lost City of Z 2016), le mélodrame (Two Lovers 2008) et plusieurs avatars du film criminel ( Little Odessa, The Yards 2000, La nuit nous appartient 2007). Sans négliger la rythmique narrative, Armageddon Time délaisse l’action pour l’inventaire erratique des souvenirs d’enfance.

1979, le Queens, quartier natal de l’auteur dans la banlieue new-yorkaise, l’élève Paul Graff (Banks Repeta) préfère le dessin à la prise de notes. Cancre solidaire, le gamin rêveur se lie d’amitié avec Johnny (Jaylin Webb) dont la couleur de peau attise le racisme latent du professeur principal.

La scolarité chaotique du cadet contrarie ses parents dans leur soucis d’élévation sociale. Frêle, fragile, la mère (Anne Hathaway) brigue la présidence des parents d’élèves. Artisan plombier, le père (Jeremy Strong) s’apprête à tous les sacrifices afin que ses deux fils arborent des cols blancs. En rupture de ban, Paul trouve écoute et réconfort auprès de Aroon, son grand-père (Anthony Hopkins), juif d’origine ukrainienne, que la brutalité des soviétiques puis des nazis, a corseté d’une sagesse magnanime. Dépression maternelle, irascibilité du père, incartades buissonnières, cas de conscience et trahisons, les vignettes tracent l’architecture sur laquelle s’érige une personnalité.

 

La télévision déverse le sentimentalisme poisseux de Ronald Reagan, candidat républicain aux prochaines élections. Au sein de Kew-Forest School, établissement financé par la famille Trump, où Paul est placé en désespoir de cause, la méritocratie suprémaciste glorifiée par Maryanne Trump (apparition de la divine Jessica Chastain qui pare le discours de la sœur de Donald d’une autorité et d’un charme imparables), ces épisodes amorcent le requiem d’une nation égalitaire et démocratique. Comme pour retarder son entrée dans le monde des grands, l’enfant se réfugie dans les crayons, les couleurs, les farces turbulentes ou des lancements de fusée qui lui permettraient d’échapper au chaos de l’Armageddon, annoncé par le titre, lui même inspiré d’une chanson du groupe Clash.

Emmitouflé dans les teintes fanées d’un début d’hiver, le crépuscule d’une époque s’instille dans la chronique d’apprentissage. James Gray pointe les paradoxes des personnages : les emballements maladroits du père, l’humanisme résigné du grand-père.. . La perspicacité est mélancolique mais étrangère à toute acrimonie. Conteur minutieux, le cinéaste livre avec Armageddon Time son œuvre la plus autobiographique, nuancée et complexe, d’une âpreté sans fard et d’une élégance de chaque instant. Qualifié de « classique » par quelques thuriféraires de la modernité, James Gray est tout simplement un immense cinéaste.

 

 

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