L’essor effréné des réseaux sociaux, la montée en puissance des leaders illibéraux, le détricotage arrogant des alliances forgées à l’issue de la seconde guerre mondiale, soumettent l’anticipation dystopique à l’épreuve d’une affolante réalité.
Mickey 17 en apporte l'attestation. Dans la peau de Hieronimus Marshall, oligarque friand de conquête spatiale, Mark Ruffalo pique dans la fiction : Marlon Brando (version Corleone) et le réel : Donald Trump, Elon Musk. A l’arrivée la composition de l’acteur se voit distancée par ses modèles désormais en roue libre aux commandes des États-Unis.
Adapté de Mickey 7, roman publié en 2022 par l’américain Edward Ashton, Mickey 17 nous transporte en 2054. Traqué par des créanciers mafieux, suite à la faillite de sa boutique de macarons, Mickey Barnes (Robert Pattinson) se convertit en remplaçable, en partance vers Niflhein, planète glaciaire, convoitée par Hieronimus Marshall et Gwen Johansen son épouse (Toni Collette, véritable Lady Macbeth from outer space).
A la fois cobaye médical et sous-prolétaire assigné aux tâches les plus périlleuses, le préposé perd régulièrement la vie avant de ressusciter via une matrice 3D. Mickey connaît 17 duplications, jusqu’au jour où, rescapé d’une crevasse, il réintègre la base et découvre qu’un Mickey 18 est d’ores et déjà en fonction. Or, en vertu des rationnements alimentaires, il ne se tolère qu’un seul remplaçable dans chaque colonie.
Auréolé du triomphe planétaire de Parasite (2019), Bong Joon-ho revient à la tête d’une production hollywoodienne dans laquelle il insuffle sa griffe personnelle. Pionnier du mélange des genres, l’auteur de Memories of Murder (2003) confronte Nasha (Naomie Ackie), la compagne de Mickey, à un dilemme sentimental. Mais ici, les paradoxes du double se résolvent dans des péripéties vaudevillesques. La colonisation prédatrice se heurte aux rampants, autochtones aussi gluants que déconcertants. La vanité décomplexée de Marshall et son épouse se ramifie en d’effarantes élucubrations.
Même s’il s’égare dans quelques tunnels verbeux, le maître coréen dose avec bonheur satire politique et approche parodique. Fort de la complicité des ses interprètes, dont Robert Pattinson, visiblement ravi de s’extirper des beaux ténébreux et Toni Collette qui après Juré N°2 (Clint Eastwood 2024), aligne les judicieuses participations, Bong Joon-ho livre un conte de science fiction dont la poésie visuelle et l’esprit frondeur, tranchent avec les déferlements simplistes et tapageurs qui constituent désormais l’ordinaire des blockbusters estampillés Marvel et compagnie.
En utilisant ses expressions et à l’insu des obsessions de l’actuel locataire de la Maison Blanche, l’on peut considérer qu’avec Mickey 17, un immigré asiatique has done a fantastic job.
Photographies : Warner Bros.