Last night in Soho-l’affiche entrecroise deux visages féminins qui laisse présager une énième variation autour du double. Last night in Soho-le film, s’amorce dans une maisonnette au cœur des Cornouailles. Admise dans une école de mode à Londres, Éloïse Turner (Thomasin Mckenzie) prend congés de sa grand-mère. Sur place l’orpheline (qui réalise elle même ses vêtements aux coupes plutôt strictes), s’installe dans un foyer d’étudiantes, puis dans une chambre au cœur de Soho.
Imprégnée par la légende sulfureuse du quartier surplombé par le Windmill Théâtre, cher à Mrs Henderson (voir le film de Stephen Frears 2005), Eloïse lie connaissance avec Sandy (Anya Taylor-Joy) qui, à son image, dissimule quantité d’aspirations derrière sa jolie frimousse. Dès lors les modèles créés par Eloïse reproduisent les tenues fancy de Sandy. Un détail cependant : Sandy évolue au cœur des années 60, décor récurrent des rêves d’Eloïse.
A ce stade, l’on envisage une comédie rétro garantie 100 % Working Title firme à l’origine de Good morning England (2009) ou Yesterday (2019). Pourtant si le faste de la direction artistique est au rendez vous, il est mis au service d’une mise en abîme des Swinging Sixties, au cours desquelles bon nombre de talents et d’espoirs féminins se fracassèrent dans les boîtes a strip tease qui prospéraient entre Oxford Street et Leicester Square.
L’intrigue s’incline alors vers un thriller ancré dans les névroses sexophobiques d’une jeune provinciale. Eloïse est peu à peu submergée par la capitale londonienne, ville de légendes dangereuses où des émules de Sweeney Tod le barbier de Fleet Street, de Mister Hyde voire de Jack l’éventreur de White Chapel séviraient de nos jours sur des refrains de Dusty Springfield ou Pétula Clark.
On songe à Répulsion (1965) par ailleurs cité dans une séquence saisissante. Mais l’épure chirurgicale de Roman Polanski cède la place à des ombres menaçantes tapies entre les rayonnages d’une bibliothèque high tech. D’entre ces fantômes se détache la silhouette voûtée de Terence Stamp dont la gueule d’ange fut découverte par Ken Loach, dans Poor Cow, son premier film (1967). L’on reconnaît encore Diana Rigg (1938-2020), inoubliable Madame Peel (Chapeau melon et bottes de cuir), reconvertie en logeuse qui ne s’en laisse pas conter.
Repéré pour Shaun of the dead (2004), Hot Fuzz (2007).., comédies écrites avec l’humoriste Simon Pegg, puis le frétillant Scott Pilgrim (2010), Edgar Wright investit son panache virtuose dans un grand huit émotionnel qui convoque le déterminisme social du Free Cinéma, les éclats sanglants de l’épouvante victorienne et le perfectionnisme raffiné de l’entertainment anglo-saxon. Last night in Soho livre un portrait en creux d’une pop culture qui nourrit encore (et pour le meilleur) les goûts et les imaginaires. Mais comme chaque revers a sa médaille, cet objet filmé à vocation démystificatrice se double d’une ballade amoureuse à travers London Town, City of Westminster qui malgré sa gentrification et ses tours de verre, recèle toujours des zones d’ombre et des ruelles gorgées de mystères.
Last night in Soho est inattendu, incisif, étourdissant. Un régal de cinéma!