Philippique du deuil

Actualité du 07/04/2024

Bien que natif de Liverpool, il détestait le football et ne supportait pas les Beatles. il était pourtant fin mélomane, comme en témoignent Distant Voices Still Lives (1988), où l'on pousse de la glotte jusqu'à plus soif et The long Day Close (1991), composition autobiographique, enracinée dans un kaléidoscope musical. On lui doit également Of Time and the City (2008), documentaire sur les mutations de sa ville natale, Chez les heureux du monde (2000), savoureuse adaptation d'Edith Warthon, interprétée par Gillian Anderson et le Blues Brothers Dan Aykroyd. Avec A Quiet Passion, il signa en 2016, une évocation sensible d’Emily Dickinson, au fil de laquelle il se confond avec cette solitaire rebelle qui se construit dans l’écriture.

La démarche mimétique transparaît à nouveau dans Les Carnets de Siegfried, biographie du poète-écrivain Siegfried Sassoon (1886-1967) et dernier opus de Terence Davies (10 novembre 1945-7 octobre 2023).

La barbarie de la première guerre mondiale, les décès de son jeune frère et d’un très proche ami, pousse le sous-lieutenant à jeter sa Military Cross et imprègne ses écrits d’un pacifisme intense. Démobilisé, Sassoon se partage entre journalisme et littérature. Dans une société qui criminalise l’homosexualité, il affiche une relation tourmentée avec Ivor Novello, star du music-hall. En 1933, contre toute attente, il convole avec Hester Gatty, qui lui donne un fils. A la fin de son existence, Sassoon se convertit au catholicisme, comme ultime palliatif à sa neurasthénie.

Terence Davies additionne ses prédilections : pour le documentaire (les images de combats tirées d’actualités d’époque), les incisions musicales (refrains signes du temps) et, enfin, l’anatomie de la mémoire. A contretemps des antiennes résilientes, Les Carnets de Siefried  chronique la charge inéluctable des souvenirs sur un chemin de vie. Des inspirations flamboyantes aux parades de circonstance, les antalgiques se succèdent au chevet du dandy brillant jusqu'à l'arrogance, tout en restant en butte à une indéfectible tristesse.

Sassoon ne passe jamais à autre chose, il en découd avec les fantômes et afflictions qui lézrardent sa mémoire. Cette lutte perdue d’avance se déploie dans un raffinement, voire un panache, qui éludent les ressassements compassés.

L’apparition du musicien-fantaisiste Peter Capaldi, méconnaissable en vieil homme pétrifié, l’ironie aristocratique de Jack Lowden, tous deux dans la peau de Sassoon, à plusieurs étapes son existence, alimentent la distinction de cet itinéraire d’une mélancolie.

Transpercée de chagrin, l’image finale atteint l’inoubliable et confirme qu’avec Terence Davies (photo), la nostalgie vient de perdre le plus éminents de ses orfèvres.

Photographies : Condor Films.

 

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